(1775) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1775) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Après avoir attendus bien longtems, j'ay enfin reçus vos derniers ouvrages.
J'espère qu'il n'en sera pas de même à l'avenir, et que vous voudray bien vous servir de l'adresse que je vous ay indiquée.

Vous vous douté bien que je suis parfaitement contente de vôtre prose et de vos vers; vous êtes et vous seray toujours le même; vous dites que votre Corps s'affoiblit, vôtre âme s'en mocque, et elle Conserve la même force et la même chaleur qu'elle avoit à vingtcinq ans. Je voudrois envérité mettre sur vôtre tête les années qui me restent, vous en feriés bon usage, et celuy que J'en fais est déplorable; Je sent tout le malheur qu'il y a de n'avoir rien acquis dans sa Jeunesse; on ne vit dans sa viellesse que sur le bien d'autruy, et l'on en sent d'autant plus sa misère; mais que faire à cela mon cher Voltaire? Les chagrins et l'ennuy qui tourmentent finiront bientôt; Je sent souvent du regrets de n'avoir pas étée m'établir à Geneve, dans le tems que J'étois dans le voisinage; Je me serois trouvée dans le vôtre, mais il faut chasser toutes ces pensées, et se contenter de brouter le foin au travers duquel on est placé.

Souvenez vous quelque fois de vôtre contemporaine; consolez là, aidez luy à trainer les tristes restes de sa vie.

Je ne vous parle point des nouveautés, des moishttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250365b_1key001cor/nts/001 de Mr Durocher, du Menzikoffhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250365b_1key001cor/nts/002 de Mr de Laharpe, vous les aurez sans doute reçûs.

Il se trouve quelquefois chez moy des gens qui se piquent de grammaire. On y agita dernièrement cette question:

une personne qui veut rendre compte de son Etat peut elle dire, ‘J'ay été très mal, et je le suis encore’?

On demande s'il y a faute dans cette façon de parler; et en quoy elle consiste?