(1775) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1775) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

J'ai été très mal, Madame, depuis près d'un mois; je le suis encor, et je ne sais trop comment je suis en vie.
Je crois qu'il est arrivé la même chose à Don Pedre qu'à moi. Cependant je vous envoie une seconde édition, parce que j'aprends dans mon lit qu'il n'y a plus d'éxemplaires de la première à Geneve. Tout est allé, je crois, à Paris. Vous recevrez probablement l'éxemplaire de l'édition nouvelle par Mr D'Ogny.

Je vous conseille de ne vous jamais faire lire de vers; car outre qu'on en est fort las, ils sont trop difficiles à lire; vous trouverez mieux Vôtre compte avec de la prose. Je vous prie même de lire une note qui se trouve à la fin de la Tactique dans le même recueil. Elle est assez intéressante pour ceux qui n'aiment pas qu'on égorge le genre humain pour de l'argent.

Le nombre infini de maladies qui me tuent est assez grand, et nôtre vie assez courte pour qu'on puisse se passer du fléau de la guerre. Je finirai bientôt ma carrière au coin de mon feu; étendez la vôtre, Madame, aussi loin que vous le pourez. Jouïssez de tous les plaisirs que vôtre triste état vous permet. Le mot de plaisirs est bien fort; j'aurais dû dire consolations, et même consolations passagères; car il n'en reste rien lorsqu'au sortir d'un grand soupé on se retrouve avec soi même, et qu'on passe la nuit à se rappeller en vain ses premiers beaux jours. Tout est vanitéhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250345_1key001cor/nts/001, disait l'autre; et plût à Dieu que tout ne fût que vanité! mais la pluspart du tems tout est souffrance. J'en suis bien fâché, mais rien n'est plus vrai. Ma Lettre est un peu de Jérémie; j'aimerais mieux être Anacreon. Je vous prie de me pardonner mes lamentations, et de croire que le bonhomme Jeremie au milieu de ses montagnes vous est aussi tendrement attaché que s'il avait le bonheur de vous voir tous les jours.

Le vieux malade de Ferney