Pardon, Madame, pour Gluk, ou pour le chevalier Gluk.
Je croiais vous avoir mandéhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250304b_1key001cor/nts/002 qu'une Dame, qui est assez belle, et qui a une voix aprochante de Mlle Le Morehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250304b_1key001cor/nts/003, m'avait chanté un récitatif mesuré de ce réformateur, et qu'elle m'avait fait un très grand plaisir, quoi que je sois aussi sourd qu'aveugle, quand les neiges viennent blanchir les Alpes et le mont Jura. Je vous demande pardon d'avoir eu du plaisir, et d'en avoir eu par un Gluk. Il se peut que j'aie eu tort; il se peut aussi que les autres morceaux de ce Gluk ne soient pas de la même beauté. Deplus, je sens bien qu'il entre un peu de fantaisie dans ce qu'on appelle goût en fait de musique. J'aime encor les beaux morceaux de Lully, malgré tous les Gluk du monde.
Mais venons, je vous en prie, à l'affaire que vous voulez bien protèger. Je me suis mis aux pieds de Madame la Duchesse D'Anville. Je ne compte que sur elle; je n'aurai d'obligation qu'à elle. Nous demandons un sauf conduit, et rien autre chose. Mais comme ces sauf conduits se donnent par Mr Vergennes aux étrangers, et que nous sommes actuellement étrangershttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250304b_1key001cor/nts/004, il a fallu absolument commencer par avoir un congé du roi de Prusse, et en donner part à son ambassadeur; d'autant plus que le Roi de Prusse lui même a recommandé vivement mon jeune homme à ce ministre. Nous attendons de la protection de Madame La Duchesse D'Anville, que nous obtiendrons en termes honorables ce sauf conduit si nécessaire. Le tems fera le reste. Ce sera peut être une chose aussi curieuse qu'affreuse de voir comment un petit juge de province, voulant perdre Made De Brou, abbesse de Villancour, suborna de faux témoins, et nomma pour juger▶ avec lui un procureur devenu marchand de bois et de vin, condamné aux Consuls pour des friponeries. C'est ce cabaretier qui condamna lui troisième deux enfans innocents au suplice des parricides. On ne le croirait pas; vous ne m'en croirez pas vous même en vous fesant lire ma Lettre. Cependant, rien n'est plus vrai. Cette étrange sentence fut confirmée au parlement de Paris à la pluralité de deux voix. Il y avait six mille pages de procédures à lire. Vous sentez bien que Messieurs n'en eurent pas le tems. Il fallait ce jour là écrire aux Classes http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250304b_1key001cor/nts/005, et minuter des remontrances. On ne peut pas songer à tout. On se dépêcha de dire que le marchand de bois avait bien ◀jugé, et ces deux mots suffirent pour briser les os de ces deux enfans, pour leur arracher la langue avec des tenailles, pour leur couper la main droite, pour jetter leurs corps tout vivant dans un feu composé de deux voies de bois, et de deux charettes de fagots. L'un subit ce martire en personne, l'autre en éffigie. Mais le tems vient où le sang innocent crie vengeance.
Cet éxécrable assassinat est plus horrible que celui des Calas; car les juges de Calas s'étaient trompés sur les aparences, et avaient été coupables de bonne foi, mais ceux d'Abbeville ne se trompèrent pas. Ils virent leur crime et ils le commirent.
Je crois vous avoir déjà dit, Madame, à peu près ce que je vous dis aujourd'hui; mais je suis si plein que je répète. Mon grand malheur est que je désespère de vivre assez longtems pour venir à bout de mon entreprise, mais je l'aurai dumoins mise en bon train. Les parties intéressées achêveront ce que j'ai commencé.
Pour écarter l'horreur de ces idées, je vous demande coment je pourais m'y prendre pour vous faire tenir un chifonhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250304b_1key001cor/nts/006 qui vous ennuiera peut être. Il est dédié à un homme que vous n'aimez point, à ce qu'on dit. C'est Mr D'Alembert, mais vous pardonnerez sans doute à un académicien qui dédie un ouvrage à l'académie sous le nom de son secrétaire. Si vous ne l'aimez pas vous l'estimez, et il vous le rend au centuple. Moi je vous estime et je vous aime de toutes les forces de ce qu'on appelle mon âme.