(1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

J'ay tardé à vous répondre mon cher Voltaire, parce que J'ay envoyé votre lettre à Chanteloup et que Je voulois pouvoir vous mander ce qu'on m'auroit répondu.
Voicy les propres mots de la grand mamanhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250049_1key001cor/nts/001.

'Je ne sçay pas pourquoy mr de Voltaire s'imagine toujours ètre mal avec mr de Choiseul; Je ne puis vous dire sur cela que ce que Je vous ay toujours dit, que mr de Choiseul ne cesse de lire ses ouvrages et de les admirer avec tout le plaisir que cause Une admiration véritable. Vous pouvez assurer mr de Voltaire que mr de Choiseul a ressenty dans le tems et conservé depuis la même horreur que lui, des cruautés exercés sur messrs de La Barre et de Lally.'

http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250049_1key001cor/txt/001Elle me conseille ensuitte de vous raconter une petitte histoire. La voicy.

Un nouveau conseiller prenoit sa première scéance au parlement un Jour qu'on devoit Juger un procès. Quand on en vint aux opinions L'usage étant que le dernier venû donne son avis le premier, le premier président lui dit: Qu'opinez vous monsieur? Moi monsieur? répondit il, Je ne qu'opine point, Je laisse mes anciens qu'opiner les premiers, quand ils auront qu'opinés Je qu'opineray à mon tour.

Convenez mon cher Voltaire, que voilà qui annonce un grand magistrat.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250049_1key001cor/txt/001

Je suis ravie que Vous ne m'ayez pas réduitte à la pension; comment pourrois-je me contenter de quatre Lettres par an? Je voudrois en recevoir 365. Réellement mon plus grand malheur (et ce malheur est si grand qu'il me rend malade) c'est de ne sçavoir absolument ce que Je peux lire, tout m'ennuy à la mort; L'histoire, la morale, les Romans, les pièces de théâtre. Vous me direz, lisez moi; c'est assurément ce que Je fais, mais àforce de vous lire et de vous avoir lû je vous sçay presque par cœur. Je trouve tout fade ou Extravagant, ni gaité, ni Justesse, ni chaleur, des exagérations, des phrases. Peutêtre est ce un Effet de la viellesse; Je le croirois si Je ne retrouvois pas encore infiniment de plaisirs à lire vos lettres et les petittes pièces que vous nous donnez quelquefois. Réellement, mon cher Voltaire, ayez pitié de moi et transmettez moi quelques Etincelles de tout le feu que Vous conservez encore.

Je suis ravie que Vous ayez trouvé Joli les petits vershttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250049_1key001cor/nts/002 que Je vous ay envoyé; ils sont de mr de Pezay; il s'étoit offert de me faire avoir les vers de La Harpe sur l'édit du 31 may. Je le voyois pour la première fois, Le lendemain il m'envoya ces vers. Il y en a un qui nuit à leur perfection, c'est celuy cy,

quoique les moissonneurs fassent cas des chansons.

Si l'on pouvoit y en mettre un autre cela me feroit plaisirs. Nous sommes abimés d'odes, d'Eloges, de critiques, d'Epigrames. De ces dernières, il y en a quelques unes d'assez Jolieshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250049_1key001cor/nts/003.

Vous voudriez que Je vous mandasse des nouvelles, mais Je n'en sçay point, les grands Evénemens se sçavent partout presque au même instant qu'ils arrivent, et les petits détails sont presque toujours faux. De plus Je n'ay pas le talent des gazettes. Vous avez un correspondant admirable dans mr Delisle, persuadez vous qu'il est mon chancelier et que c'est à moi à qui vous devez adresser les réponses que vous lui faites.

On reçût avant hier à l'accadémie un autre mr de Lillehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250049_1key001cor/nts/004, Le petit abbé. Je le connois un peu, il est fort aimable mais malgré cela Je suis bien persuadée que son discours est fort ennuyeux. Il a lû son Epitre sur le luxehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250049_1key001cor/nts/005, Je la connois; on dit que ses vers sont fort audessus de sa prose. Cela ne fera peutêtre pas dire, tant mieux pour nos bosquets. Mais on dira, tant pis pour nos moissons.

Je soupçonne mon cher Voltaire que cette lettre n'a pas le sens commun, mais elle m'a fait passer un quart d'heure à causer avec vous. Je voudrois que ce fût en réalité.