(1774) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1774) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je vous ai fait des infidélités madame en faveur de Mr Delile.
Mais aussi il me fesait mille agaceries quand vous me traitiez avec indiférence. Il me parlait de vous, et vous ne m'en disiez mot. Il m'aprenait que vous aviez été à l'opéra d'Iphigénie et que vous aviez trouvé les vers, le récitatif, les arietes, la simphoniehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250029b_1key001cor/nts/002, les décorations mêmes détestables. Il nous en a envoyé quelques airs qui ont paru très bons à ma nièce, grande musiciene. Mais comme l'accompagnement manquait, j'ay persisté à croire qu'il n'y a rien dans le monde audessus du quatrième acte de Roland et du cinquième acte d'Armide. Je suis toujours pour le siècle de Louis 14 malgré tout le mérite du siècle de Louis 15 et de Louis 16. Enfin madame vous vous humanisez avec moy, vous m'écrivez, vous me fournissez matière à écrire, vous m'envoiez de très jolis vershttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250029b_1key001cor/nts/003 qui valent beaucoup mieux qu'une grande odehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250029b_1key001cor/nts/004. Je vous en remercie et je voudrais bien savoir de qui ils sont. Je ne suis pas acoutumé à en recevoir de pareils. Voilà du bon ton, et rien n'est plus rare. J'ay sçu que M. le duc de Choiseul était revenu à Paris en triomphateur, et qu'il était reparti en philosophe. Je lui bats des mains avec le peuple; et je ne le trouve pas moins injuste envers moi. Je persiste dans ma haine contre les assassins du chevalier de la Bare et du comte de Lalli, et je n'ai jamais conçu comment il avait pu être mécontent de l'horreur que j'ay eues pour des injustices aux quelles il ne peut prendre le moindre intérest. Je lui serai toujours attaché, fût il exilé, ou fût il souverain. Je serai pénétré de reconnaissance pour lui, je le regarderai comme un génie supérieur, mais je ne lui pardonerai jamais l'erreur dans la quelle il est tombé sur mon compte. Pour vous madame je vous pardonne de ne m'avoir jamais instruit de rien, et d'avoir voulu que je vous écrivisse de mon désert où j'ignorais tout ce qui se passait dans le monde. Vous m'écriviez quelquefois quatre mots cachetés du grand sceau de vos armes, au lieu de me mettre au fait et de cacheter avec une tête. M. de Lille a eu plus de compassion que vous. Cependant je ne vous ai point abandonnée. Je vous ai fait parvenir de plattes vérités en vers et en prose quand il m'en est tombé entre les mains; et je vous en enverrai tout autant qu'il m'en viendra.

Vous ne me donnez aucune nouvelle des grands tourbillons qui vous entourent et moy je vous écrirai tout ce que je saurai dans ma solitude. Vous voiez madame que je suis de meilleure composition que vous; et cependant c'est vous qui vous plaignéz!