(1774) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1774) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

J’aurais bien envie madame de vous payer votre quartier puisque vous dites que je ne vous écris qu’une fois en trois mois, mais pour payer ses dettes il faut être en argent comptant.
Tout me manque, santé, loisir, esprit, imagination. Je suis accablé à l’âge de 80 ans d’affaires qui dessèchent l’âme et de maux qui mettent le corps à la torture. Jugez s’il vous plaît si je ne suis pas en droit de vous demander du répit. Je voudrais être votre invalide et vous faire la lecture, mais je suis bien plus qu’invalide, je suis mort. Mr de Lisle qui est tout à fait en vie, doit vous tenir lieu de tout. Je n’ai jamais vu d’homme plus nécessaire à la société que lui. Les dragons de mon temps n’avaient pas l’esprit de cette tournure là. Il ne veut pas croirehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240371_1key001cor/nts/002 que l’épître à Ninon soit du jeune comte de Schowalow, et faite dans les glaces de la Néva. Quelqu’ aimable que soit mr de Lisle il se trompe.

Rien n’est plus extraordinaire que cet assemblage de toutes les grâces françaises dans le pays qui n’était que celui des ours il y a cinquante ans. Mais rien n’est plus vrai. Vous avez dû voir par vos conversations avec mr de Schowalow, l’oncle de l’auteur de l’épître, que la patrie d’Attila n’était pas le pays des sots. On parle français à la cour de l’impératrice plus purement qu’à Versailles, parce que nos belles dames ne se piquent pas de savoir la grammaire. Diderot est tout étonné de ce qu’il a vu et entendu. C’est sans doute le style de nos arrêts du conseil et de nos édits de finance qui a porté le bon goût devers la mer glaciale, et qui fait qu’on joue Zaïre en Russie et à Stokolm!

Vous souviendrait il, madame, que vous m’écrivîteshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240371_1key001cor/nts/003 une fois que Catherine n’était qu’une héroïne de gazette? Ce n’est pas de nos gazettes de Paris qu’elle est l’héroïne, elles ne lui sont pas favorables. J’espère que celles de Pekin lui rendront plus de justice. Il y a un homme dans mon voisinage qui sait fort bien le chinois et qui a envoyé des vers chinois à l’empereur Kien Long, lequel empereur passe pour le meilleur poète de l’Asie. Pour Catherine elle ne fait point de vers mais elle s’y connaît fort bien, et d’ailleurs elle fait de très bonnes plaisanteries sur ce cosaque qui s’est mis en tête de la détrôner. Vous ne vous souciez guère de tout cela, et vous faites bien. Vivez, madame, parlez et portez vous bien. Je suis à vos pieds.