(1773) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
/ 19
(1773) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Eh bien, Madame, je commence par les diamants brillantshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240164_1key001cor/nts/001.
Page 102, tome 1er . Pourquoi faire de Dieu un tiran oriental? pourquoi lui faire punir des fautes légères par des châtiments éternels? pourquoi mettre le nom de la divinité au bas du portrait du diable?

Page 107. Nous sommes étonnés de l'absurdité de la religion paienne, celle de la religion papiste étonnera bien d'avantage la postérité.

Page 121. Pour être philosophe, dit Mallebranche, il faut voir évidemment, et pour être fidèle il faut croire aveuglément. Mallebranche ne s'aperçoit pas que de son fidèle il en fait un sot.

Page 321. Pourquoi tout moine qui déffend avec un emportement ridicule les faux miracles de son fondateur, se moque t-il de l'existence des vampires? C'est qu'il n'a point d'intérêt à la croire. Otez l'intérêt, reste la raison; et la raison n'est pas crédule.

Je prends ces petits diamants au hazard, Madame. Il y en a mille dans ce goût dont l'éclat m'a frappé. Cela n'empêche pas que le livre ne soit très mauvais. Je passe ma vie à chercher des pierres précieuses dans du fumier, et quand j'en rencontre je les mets à part et j'en fais mon profit. C'est par là que les mauvais livres sont quelquefois très utiles.

J'ai lu il n'y a pas longtemps l'art d'aimerhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240164_1key001cor/nts/002 de Bernard. C'est un des plus ennuieux poëmes qu'on ait jamais faits. Cependant il y a dans ce long poëme une trentaine de vers admirables et dignes d'être éternels comme le sujet du poëme le sera.

Pour faire un bon livre il faut un temps prodigieux; et la patience d'un saint. Pour dire d'excellentes choses dans un plat livre il ne faut que laisser courir son imagination. Cette folle du logis a prèsque toujours de beaux éclairs. Voilà pour Helvetius.

A l'égard de l'éloge de Colberthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240164_1key001cor/nts/003, c'était un ouvrage qu'on ne pouvait faire qu'avec de l'arrithmétique. Aussi est-ce un excellent banquier qui a remporté le prix. J'avoue que je ne saurais souffrir qu'un homme qui porte un habit de drap de Vanrobaishttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240164_1key001cor/nts/004, ou de velours de Lyon, qui a des bas de soye à ses jambes, un diamant à son doigt, et une montre à répétition dans sa poche, dise du mal de Jean Baptiste Colbert à qui on doit tout celà. La mode est aujourd'hui de mépriser Colbert et Louis 14. Cette mode passera, et ces deux hommes resteront à la postérité avec Racine et Boileau.

Après vous avoir confié mes inutiles idées sur ces objets de curiosité, je viens à l'essentiel, c'est-à-dire à vous, à vôtre santé, à vôtre situation, qui m'intéressent véritablement. L'âge avance, je le sens bien, et mes quatrevingt ans m'en avertissent rudement. Nôtre faculté de penser s'en ira bientôt comme nôtre faculté de manger et de boire. Nous rendrons aux quatre éléments ce que nous tenons d'eux, après avoir souffert quelque temps par eux, et après avoir été agités de crainte et d'espérance pendant les deux minutes de nôtre vie. Vous êtes plus jeune que moi, ainsi selon la règle ordinaire je dois passer avant vous.

Mr De Lille se moque de moi de dire qu'il m'a trouvé de la santé. Je n'en ai jamais eu. Je ne sais ce que c'est que par ouï dire. Je n'ai pas passé un jour de ma vie sans souffrir beaucoup. J'ai peine même à concevoir ce que c'est qu'une personne dans une santé parfaitte; car on ne peut jamais avoir de notion juste de ce qu'on n'a point éprouvé. Voilà pourquoi je suis très persuadé qu'il est impossible qu'un médecin ait la moindre connaissance de la fièvre et des autres maladies, à moins qu'il n'en ait été attaqué lui même.

Vous me citezhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240164_1key001cor/nts/005 deux beaux vers de Mr de st Lambert. Ils vous ont fait plus d'impression que les autres parce qu'ils vous rappellent vôtre état et celui de vos amis. Le grand secret des vers c'est qu'ils puissent s'ajuster à toutes les conditions et à toutes les situations où l'on se trouve. Ces deux vers de l'abbé de Chaulieu,

Bonne ou mauvaise santé

resteront éternellement, parce qu'il n'y a personne qui n'en éprouve la vérité.

Ce que vous me mandez de Madame de La Valliere m'étonne et m'afflige, mais si elle n'est que faible il y a du remède. Le vin n'a été inventé que pour donner de la force. Je conçois que son état vous attriste. Vous n'avez point dites vous de courage; celà veut dire que vous êtes sensible, car le courage de voir périr autour de soi sans s'émouvoir, toutes les personnes avec lesquelles on a vécu, est la qualité d'un monstre ou d'un bloc de pierre de roche. Je fais grand cas de vôtre faiblesse. Tant qu'on est sensible on a de la vie. Puissiez vous, Madame, avoir longtemps cette faiblesse d'âme dont vous vous plaignez! Je mourrai sans avoir eu la consolation de m'entretenir avec vous, c'est là ma grande douleur et ma grande faiblesse. Mon âme (s'il y en a une)ai me tendrement la vôtre; mais à quoi celà sert-il?

…. V.