(1773) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1773) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Depuis sept ou huit Jours, monsieur, Je me fais lire vos lettres.
Je les ay toutes conservées. J’y ay trouvé tant de plaisirs que j’étois dans les regrets de n’en plus recevoirhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240081b_1key001cor/nts/001. Ce matin, l’on m’a dit, Voilà une lettre de mr De Voltaire. Est elle longue? Oui, elle a quatre pages. A tant mieux, Lisez la promptementhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240081b_1key001cor/nts/002.

Je commance par vous remercier de votre souvenir, de la continuation de votre amitié. J’y suis infiniment sensible, car il est certain que je vous suis tendrement attachée. Je vais pour répondre à votre lettre la prendre par la queüe. Vous finissez par dire que vous m’enverrez votre dernier ouvrage, si Je vous le commande, si Je vous L’ordonne. Voilà des paroles que je ne proféreray Jamais, mais Je vous supplie avec la dernière instance de ne pas diférer moment à me l’envoyer.

Vous vous attendez bien que Je ne m’ingéreray pas à Juger les faits, mais J’auray un plaisir extrême à vous entendre plaider, et il me seroit bien dificile de ne me pas ranger de votre avis; J’en suis déjà sur ce qui regarde mr de Lally; sans aucune estime pour lui J’ay toujours pensé qu’il ne méritoit pas un tel traitement.

A l’égard de mr de Morangiez, Je n’y vois goutte. J’ay du penchant à croire que lui et les Dujonquay sont tous des fripons. On parle de la foy des Boheme, Je ne sçay pas quelle est celle des usuriers, et ce que c’est que des billets qu’on signe et qu’on n’est point obligé de payer. On dit qu’on les trafic, que c’est une chose en usage, mais dans quel tems et en quelle occasion les retire t’on? Je m’attend que vous m’expliquiez cela. Ne vous étonnez point si Je suis si peu instruite, Je n’ay point lû le mémoire de Linguet, il n’y a que la clarté et le charme de votre stile qui puisse me faire lire les choses dont le fond ne m’intéresse point. Je vous admire et je vous approuve du zèle que vous avez pour la chose publique et pour les individus qui la composent. Vous avez reçû des talents de la nature qui vous rendent comptable à tout l’Univers, il faut que vous répandiez partout l’abondance de ses dons. Pour moi à qui elle n’a donné que le pûre nécessaire, de l’esprit que ce qu’il en faut pour connoitre et sentir celui des autres, cinq sens qu’elle n’a pas Jugé à propos de me conserver Jusqu’à La fin de ma vie, Je ne dois ni ne peux vivre que pour moi; c’est aussy le party que J’ay pris; Je végète dans mon tonneau, Je reçois quelquefois bonne compagnie, le plus souvent médiocre, J’écoute les nouvelles, les Jugements qu’on porte sur les spectacles et sur les livres nouveaux, Je ne suis point tentée de voir les spectacles et quand J’ay de la curiosité pour les livres Je suis toujours attrappée. Ne m’allez point dire, il faut être indulgente. Qu’est ce qu’il faut faire pour cela? Soumettons nous notre goût? en somme nous maître? C’est vous qui avez formé le mien, prenez vous en à vous vous même si vous trouvez mauvais que je sois dificile. Je finis par vous dire mon cher Voltaire, que si vous m’aimez encore, et si vous voulez que J’aye d’heureux momens, il faut m’écrire et m’envoyer tout ce que vous faites.