(1773) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1773) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous avez sans doute, Madame, trouvé fort mauvais que je ne vous aie point écrithttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240074b_1key001cor/nts/001, et que je ne vous aie point remercié de m’avoir fait connaître Mr Delilehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240074b_1key001cor/nts/002, qui par son esprit et son attachement pour vous méritait bien que je me hâtasse de vous faire son éloge.
Ce n’est pas que la foule des princes et des princesses de Savoye et de Loraine, ou de Loraine et de Savoye, qui étonnent la Suisse par leur affluence, m’ait pris tout mon temps; ce n’est pas que Genêve encor plus étonnée que le reste de la Suisse m’ait vu à ses bals et à ses fêtes. Vous sentez bien que tout ce fracas n’est pas fait pour moi; mais je n’ai pas eu un instant dont je pusse disposer, et je veux vous dire de quoi il est question.

Des parents de Mr de Lally qui se trouvent dans une situation très équivoque et très désagréable se sont imaginés que je pourais rendre quelque service à sa mémoire. Ils m’ont envoié leurs papiers; il m’a fallu étudier ce procez énorme qui a duré trois ans, et qui a fini enfin d’une manière si funeste. J’ai trouvé qu’il n’y avait pas plus de preuves contre lui que contre les Calas, et que les assassins du chevalier de La Barre avaient à se reprocher le sang de Lalli tout autant que celui de cet infortuné jeune homme. Mais, sachant très bien que le public ne se soucierait point du tout aujourd’hui du procez de Lalli, que tout s’oublie, qu’on ne s’intéresse ni à Louis 14 ni à Henri 4, et qu’il faut toujours piquer la curiosité de nos Welches par quelque chose de nouveau, j’ai fait un petit précis des révolutions de L’Inde, à la fin du quel la catastrophe de Lalli s’est trouvée naturellement.

Voilà ce qui m’a occupé jour et nuit, et quoique j’aie près de quatre vingt ans, c’est le travail qui m’a le plus coûté dans ma vie.

Peutêtre dans l’indifférence où vous paraissez être pour les choses de ce monde vous ne vous intéressez point du tout à ce qui s’est passé dans l’Inde et dans le parlement. Nos sottises et nos désastres à Pondichéri et dans Paris, peuvent fort bien ne vous point toucher. Aussi je me garderai bien de Vous envoier cette petite histoire que j’ai composée pourtant pour le petit nombre de personnes qui ont un sens droit comme vous, et qui aiment comme vous la vérité. Je me suis mis à juger les vivants et les morts; j’ai fait un précis historique du procez de Mr de Morangiés, et je ne suis pas plus de l’avis du Bailli du palais que je n’ai été de l’avis du parlement dans tout ce qu’il a fait depuis le temps de la fronde excepté quand il a renvoié les jesuites.

Mais soiez bien sûre que vous n’aurez de moi ni Morangiés, in Lalli, à moins que vous ne l’ordonniez positivement.

J’oserai mettre encor dans mon marché que je voudrais que vous pensassiez comme moi sur ces deux objets; mais ce serait trop demander. Il faut laisser une liberté tout entière aux personnes qu’on prend pour juges, et ne les point révolter par trop d’entousiasme. Il est bon d’avoir vôtre sufrage, mais je veux l’avoir par la force de la vérité, et je ne vous prierai pas même d’avoir la moindre complaisance. Tout ce que je crains, c’est de vous ennuier, mais après tout les objets que je vous présente valent bien tous les rogatons de Paris, et tous les détestables journaux que vous vous faittes lire pour attraper la fin de la journée. Il me semble qu’il y a un roman intitulé les journées amusanteshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240074b_1key001cor/nts/003; ce ne peut être en effet qu’un roman. Les journées heureuses seraient une fable encor plus incroiable. Vous les méritiez ces journées heureuses, mais on n’a que des moments. J’aurais du moins des moments consolants si je pouvais vous faire ma cour.

V.