(1773) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1773) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Savez vous bien, Madame, pourquoi j’ai été si longtemps sans vous écrirehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1230355_1key001cor/nts/001?
C’est que j’ai été mort pendant près de trois mois, grâce à une complication de maladies qui me persécutent encor. Nonseulement j’ai été mort, mais j’ai eu des chagrins et des embaras ce qui est bien pis.

Puisque vous avez vu les loix de Minos, il est juste que je vous envoie les notes qu’une bonne âme à mises à la fin de cette pièce. Je pourais même vous dire que cette tragédie n’a été faitte que pour amener ces notes qui paraîtront peut être trop hardies à quelques fanatiques, mais qui sont toutes d’une vérité incontestable. Faittes vous les lire, elles vous amuseront aumoins autant qu’une feuille de Fréron. Quelques personnes seront peut être étonnées qu’on parle dans ces notes du chevalier de La Barre et de ses éxécrables assassins, mais je tiens qu’il en faut parler cent fois et faire détester si l’on peut la mémoire de ces monstres appellés juges, à la dernière postérité. Je sais bien que l’intérêt personel d’un très grand nombre de familles, l’esprit de parti, la crainte des impôts et du pouvoir arbitraire, ont fait regreter dans Paris l’ancien parlement, mais pour moi, Madame, j’avoue que je ne pouvais qu’avoir en horreur des bourgeois tirans de tous les citoiens, qui étaient à la fois ridicules et sanguinaires. Je me suis déclaré hautement contre eux avant que leur insolence ait forcé le Roi à nous défaire de cette cohue. Je regardais la vénalité des charges comme l’oprobre de la France, et j’ai béni le jour où nous avons été délivrés de cette infamie. Je n’ai pas cru assurément m’écarter de la reconnaissance que je dois et que je conserve à un bienfaicteur, en m’élevant contre des persécuteurs qui n’ont rien de commun avec lui. Je n’ai fait ma cour à personne, je n’ai demandé aucune grâce à personne, la satisfaction de manifester mes sentiments, et de dire la vérité, m’a tenu lieu de tout. Un temps viendra où les haines des factions seront éteintes, et alors la vérité restera seule.

Il y a quelque chose d’aussi sacré pour moi que cette vérité, c’est l’ancienne amitié. Je compte sur la vôtre en vous répondant de la mienne, c’est ce qui fait ma consolation dans mes neiges et dans mes souffrances. Ma gaieté n’est pas revenue, mais elle reviendra avec les beaux jours si mes maladies diminuent. Si je n’ai plus de gaieté j’aurai dumoins de la résignation et de la fermeté, un profond mépris pour toute superstition et un attachement inviolable pour vous.