(1772) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1772) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

J’ay tout entendu mon cher Voltaire, et Je vous en dois des remerciemens infinis.
Je doûte que les morts soyent aussi contents de vous que le sont les vivants. Horace rougira (si tant est que les ombres rougissent) de se voir surpasser; et Minos de se voir si bien Juger et d’être forcé d’avouer qu’il devroit subir les punitions auxquelles il condamne des gens moins coupables que lui. Asterie est très intéressante Le Roy représente très bien Gustave III. C’est en faire un grand éloge. Sans doûte J’aime ce Gustave, J’ay eu le bonheur de le connoitre pendant son séjour ici. Je puis vous assurer qu’il est aussi aimable dans la société, qu’il est grand et respectable à la tête de la chose publique. C’est le héros que vous devez célébrer et peindre, il n’y aura point d’ombre au tableau.

J’ay eû un vray plaisir à faire les appliquations que vous avez eû en vue en composant votre pièce. En vérité mon cher Voltaire, vous n’avez que 30 ans. Si c’est grâce à qui vous sçavez que vous ne vieillissez pas, vous vériffiez bien le proverbe, oignez vilainhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1230156_1key001cor/nts/002, &c. &c.

J’ay été très contente de le Kain, il a lû à merveille, mais Je ne suis point contente de la distribution des rôles, Je voudrais qu’il fît le Roi, il dit que cela ne se peut pas; Je n’entends pas les dignités théâtrales, il y en a pourtant bien de cette sorte à la cour et à la ville.

D’où vient ne voulez vous pas connoitre tout cela par vous même? Cessez donc d’écrire si vous voulez nous persuader que c’est votre âge qui vous empêche de venir; vous avez 40 ans moins que moi et J’ay bien été cette année à Chanteloup. Quand l’âme est aussi Jeune que l’est la vôtre, le corps s’en ressent; vous n’avez aucune incomodité positive. Je serois ravie de vous embrasser, de causer avec vous et de vous trouver d’accord avec ce que Je pense sur le mauvais goût, le mauvais ton qui règne dans tout ce qu’on fait, dans tout ce qu’on dit et dans tout ce qu’on écrit. Donnez moi de vos nouvelles, envoyez moi toutes vos productions, ce sont des armes que vous me donnerez pour deffendre la bonne cause. Adieu, aimez moi toujours un peu et Je vous aimeray toujours infiniment.