Jamais lettre n’est arrivée si àpropos que vôtre dernierre; j’étois dans la plus grande inquiétudehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1230103c_1key001cor/nts/001, le bruit Courroit icy que vous étiés extrêmement malade; cette inquiétude avoit succédé à une autre; n’ayant plus de vos nouvelles, je craignois que ma dernière lettre ne vous eûs fâchée; mais tout va bien Dieu mercy, vôtre santé, vôtre amitié, deux chôses très nécessaires à ma tranquilité et à mon bonheur.
Je ne sçait pas mon cher Voltaire, de quel oeil vous envisagé la mort; je m’en détourne la vûe autant qu’il m’est possible; j’en feroit de même pour la vie si cela se pouvoit; je ne sçait en vérité pas laquelle des deux mérite la préférence; je crains l’une, je haïs l’autre. Ah si on avoit un véritable ami, on ne seroit pas dans cette indécision; mais c’est la pierre philosophale, on se ruine dans cette recherche; aulieu de remèdes universels, on ne trouve que des poisons; vous êtes mille et mille fois plus heureux que moy; mon Etat de quinze Vingt n’est pas mon plus grand malheur; je me Console de ne rien voir, mais je m’afflige de ce que j’entend, et de ce que je n’entend pas; le goût est perdu, ainsy que le bon sens; cecy paroitra propos de vieille, mais non en vérité; mon âme n’a point vieillie; je suis touchée du bon et de l’agréable, autant et plus que je l’étois dans ma jeunesse; cela est vray. Ne me répété donc plus que vous ne sçavez pas si telles et telles de vos ouvrages me feront plaisir▶; je vous ay dit mille et mille fois, et je vous le dis aujourd’huy pour la dernière, qu’il n’y a que vous que je peut lire. Envoyé moy donc généralement tout ce que vous faites. Je ne sçait pas si j’aime Horace; mais je sçait que je vous aime, sous quelque forme que vous puissiés prendre, sur quelques sujets que vous puissiés traiter; pourquoy n’aije pas les loix de Minos? Il en Coure des Extraits qui m’ont fait grand ◀plaisir▶.
M’ocqué vous de vos envieux, leur rage ne vous fait point de tort, et vous sçavez la leur faire tourner Contre eux même; vous en avez déjà tué trois ou quatre.
Venez icy mon cher Voltaire; que j’aurois de ◀plaisir à vous embrasser! Mais mon dieu pourquoy n’y à t’il pas de champs Elisées? pourquoy avons nous perdus cette chimère?
Adieu.