Les▶ quatre ou cinq ans dont vous me parlezhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220366_1key001cor/nts/001, Madame, suposeraient pour mon compte quatre vingt deux ou quatre vingt trois, ce qui n’est pas dans ◀l’▶ordre des probabilités.
Il est certain qu’en général vôtre espèce féminine va plus loin que ◀la▶ nôtre, mais ◀la▶ différence en est si médiocre que celà ne vaut pas ◀la▶ peine d’en parler. Un philosophe nommé Timée, a dit il y a plus de deux mille cinq cent ans que nôtre existance est un moment entre deux éternitéshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220366_1key001cor/nts/002; et ◀les▶ Jansenistes aiant trouvé ce mot dans ◀les▶ paperasses de Pascal, ont cru qu’il était de lui. ◀Les▶ individus ne sont rien, et ◀les▶ espèces sont éternelles.
Je ne crois pas que vous aiez lu ◀les▶ Lettres de Memmius à Cicéron, dont ◀la▶ traduction se trouve à ◀la▶ fin du neuvième tome des Questions que je ne Vous ai pas envoiées. Nonseulement je n’envoie ◀le▶ livre à personne, et je n’écris prèsque à personne, mais je pense que ◀la▶ moitié de ces questions aumoins n’est faitte que pour ◀les▶ gens du métier et doit furieusement ennuier quiconque veut s’amuser.
J’ignore si vous avez ◀le▶ tems et ◀la▶ volonté de vous faire lire bien posément, ces lettres de Memmius. ◀Les▶ idées m’en paraissent très plausibles, et c’est à quoi je me tiens.
◀Le▶ petit conte de ◀la▶ bégueulehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220366_1key001cor/nts/003 est d’un genre tout différent. C’est ◀la▶ farce après ◀la▶ Tragédie. J’avoue que je n’ai pas osé vous ◀l’▶envoier parce que j’ai supposé que vous n’aviez nulle envie de rire. ◀Le▶ voilà pourtant. Vous pouvez ◀le▶ jetter dans ◀le▶ feu si bon vous semble.
Quand je vous dishttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220366_1key001cor/nts/004, Madame, que je voudrais habiter ◀la▶ chambre de Formont, je ne vous dis que ◀la▶ vérité. ◀L’▶état même de ma santé ne me permettrait pas de vous voir ce qu’on appelle en visite. ◀La▶ vie de Paris serait nonseulement affreuse, mais impossible à soutenir pour moi. Je ne sçais plus ce que c’est que de mettre un habit; et lorsque ◀le▶ printems et ◀l’▶été me délivrent de mes fluxions sur ◀les▶ yeux, mes journées entières sont consacrées à lire. Si je vois quelques étrangers ce n’est que pour un moment. Voiez si cette vie est compatible avec ◀le▶ séjour d’une ville où il faut promener ◀la▶ moitié du tems son corps dans une voiture, et où ◀l’▶âme est toujours hors de chez elle. ◀Les▶ conversations générales ne sont qu’une perte irréparable du tems.
Vous êtes dans une situation bien différente; il vous faut de ◀la▶ dissipation, elle vous est aussi nécessaire que ◀le▶ manger et ◀le▶ dormir. Vôtre triste état vous met dans ◀la▶ nécessité d’être consolée par ◀la▶ société, et cette société qu’il me faudrait chercher d’un bout de ◀la▶ ville à l’autre me serait insuportable. Elle est surtout empoisonnée par ◀l’▶esprit de parti, de cabale, d’aigreur, de haine qui tourmente tous vos pauvres parisiens et ◀le▶ tout en pure perte. J’aimerais autant vivre parmi des guêpes que d’aller à Paris par ◀le▶ tems qui court. Tout ce que je puis faire pour ◀le▶ présent c’est de vous aimer de tout mon cœur comme j’ai fait pendant environ cinquante années. Comment ne vous aimeraisje pas? Vôtre âme cherche toujours ◀le▶ vrai; c’est une qualité aussi rare que ◀le▶ vrai même. J’ose dire qu’en celà je vous ressemble. Mon cœur et mon esprit ont toujours tout sacrifié à ce que j’ai cru ◀la▶ vérité. C’est en conséquence de mes principes que je vous prie très instamment de faire passer à vôtre grandmaman ce petit billethttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220366_1key001cor/nts/005 de ma main que je joins à ma lettre.
Vous m’avez boudé pendant près d’un an; vous avez eu très grand tort assurément. Vous m’avez fait une véritable peine, mais mon cœur n’en est pas moins à vous. Il faut que vous ◀le▶ soulagiez du fardeau qui ◀l’▶accable. J’ai été désolé de ◀l’idée qu’on a eue que j’ai pu changer de sentiment. Vous me devez justice, et je vous demande justice auprès de vôtre grand-maman. Puisque vous m’envoiez ce qu’elle vous écrit pour moi, envoiez lui donc ce que je vous écris pour elle, et songez que vous et vôtre grand-maman vous êtes mes deux passions, si vous n’êtes pas mes deux jouïssances.