Non non, vous ne m’avez point crûe à Chanteloup; vous n’êtes pas ingénieux en excuses; mais si vous êtes sincère en repentir je feray très volontiers la paix avec vous.
J’eûs la visite de Mr. Dupuits il y a environ deux moishttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220319b_1key001cor/nts/001, Je me laissay persuadés qu’il venoit de votre part; apparemment qu’il n’en étoit rien puisque vous ne répondites point à tout ce que je le chargeay de vous dire; et par vôtre Lettre d’aujourd’huy je juge que vous n’avez peut être pas sçû qu’il m’eût vûe; Enfin, Enfin oublions le passé et reprenons nôtre Correspondance.
J’ay toujours rendu Compte à mes amis, de ce que vous me mandiés pour Eux; et de peur d’affoiblir vos expressions et de faire Tort à vôtre stile, je leurs ay presque toujours envoyé vos lettres; Je vous ay toujours dit fidellement ce que contenoit leurs réponses; Je n’ay point ajouté de réflexions, n’y de Commentaire sur le Texte; vous avez tort de vous croire mal avec eux, puisque vous n’avez point à vous reprocher d’avoir manqué à tous les sentimens que vous leurs devez; Je leurs enverray vôtre dernierre Lettre, et toutes celles où vous me parlerez▶ d’eux; Car J’espère que vous m’écrirez souvent, et que vous vous ferez un devoir de me dédommager avec usure de vôtre Long silence; J’ay plus besoin que Jamais de vôtre secours; Je n’ay plus de ressources Contre l’ennuye; J’éprouve le malheur, d’une Education négligée; l’ignorance rend la Vieillesse bien plus pêsante, son poids me paroit insupportable; Je ne regrette point les agréments de la Jeunesse; et encore moins l’employe que mes semblables en font et que j’en ay fait moy même; Je regarde tout cela aujourd’huy, Comme un tems perdu; Je voudrois avoir acquis des goûts, des Connoissances, de la Curiosité. En un mot, quelques resources pour m’occupper, m’intéresser, ou m’amuser.
Mais mon cher Voltaire, je ne me soucie plus de rien; il n’y a de différence d’une otomate à moy, que la possibilité de ◀parler, La nécessité de manger, et de d’ormir qui sont pour moy la Cause de mille incommodité; Je voudrois sçavoir pour quoy La nature n’est Composée que d’Etres malheureux; Car je suis persuadée, qu’il n’y en à pas un seul de véritablement heureux; et J’en suis si convaincûe, que je n’envie le sort n’y l’état de personnes; n’y d’aucunes espèces d’individus, tel qu’il puissent être, depuis l’huitre Jusqu’à l’ange. Mais bientôt nous serons l’un et l’autre, quoy? que serons nous? Vous ne serez plus vous, vous y perdrez beaucoup; Je ne seray plus moy, Je n’y peut que gagner; mais encore une fois que serons nous? Si vous le sçavez dites le moy, et si vous ne le sçavez pas, n’y pensons plus.
Vous aurez appris la mort de Ducloshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220319b_1key001cor/nts/002. Voilà deux places vacantes à l’académie, et quatre mauvais discours à attendre. Ne sçachant plus que lire je relix l’Ylliade, ce Tintamare des Dieux, des hommes, des chariots, des chevaux m’étourdit; mais J’aime encore mieux cela que la fade, et languissante éloquence, La boursoufflée et amphatique Métaphysique de nos sots Ecrivains.
Gardé vous bien de répondre à Mr. Clement, vous lui feriés trop d’honneur; cet homme n’a pas l’idée du goût, ses critiques sur vous devroient lui valoir des oreilles d’âne. Quinault est pour lui le Cocher de Mr de Verthamonthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220319b_1key001cor/nts/003; hé bien mon cher Voltaire, il y a des gens qui osent loüer et admirer son Livre!
Vous sçavez que Marmontel à la place d’historiographehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220319b_1key001cor/nts/004, et ce n’est pas le Duc de Mazarin, mary de la belle Hortense, qui a fait ce choixhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220319b_1key001cor/nts/005. Adieu.