(1772) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1772) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je vous écris, Madame, malgré le pitoiable état où mon grand âge, ma mauvaise santé et le climat dur où je me suis confiné, ont réduit mon corps et mon âme.

Un officier suisse qui part dans le moment veut bien se charger de ma Lettre. Songez que vous m’aviez mandéhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220308b_1key001cor/nts/002 que vous alliez chez vôtre grand maman il y a près de six mois. J’ai cru toujours que vous y étiez. J’aprends que vous êtes à Paris. Vous m’aviez promis de me mettre aux pieds de vôtre grand maman et de son mari.

Je vous dis très sérieusement que je mourrai bientôt, mais que je mourrais de douleur si vôtre grand maman et son très respectable mari pouvaient soupçonner un moment que mon cœur n’est pas entièrement à eux. Je l’ai déclaré très nettement à un hommehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220308b_1key001cor/nts/003 considérable qui ne passe pas pour être de leurs amis. Je ne demande rien à personne, je n’attends rien de personne. Je repasse dans ma mémoire toutes les bontés dont vôtre grand-maman et son mari m’ont comblé. J’en parle tous les jours. Elles font encor la consolation de ma vie. J’ai autant d’horreur pour l’ingratitude que pour les assassins du chevalier de La Barre et pour des bourgeois insolents qui voulaient être nos tirans. J’ai manifesté hautement tous ces sentiments, je ne me suis démenti en rien, et je ne me démentirai certainement pas; je n’ai d’autre prétention dans ce monde que de satisfaire mon cœur. Je suis vôtre plus ancien ami. Vous vous êtes sovenue de moi dans ma retraitte; vôtre commerce de Lettres, la franchise de vôtre caractère, la beauté de vôtre esprit, et de vôtre imagination m’ont enchanté. Mon amitié n’est point éxigente, mais vous lui devez quelque chose; vous lui devez de me faire connaître aux deux personnes respectables qui ne me connaissent pas. Je ne leur écris point parce qu’on m’a dit qu’ils ne voulaient pas qu’on leur écrivit, et que d’ailleurs je ne sais comment m’y prendre. Mais vous avez des moiens, et vous pouvez vous en servir pour leur faire passer le contenu de ma Lettre. Je vous en conjure, Madame, par tout ce qu’il y a de plus sacré dans le monde, par l’amitié. Il m’est aussi impossible de les oublier que de ne vous pas aimer.

Je vous souhaitte toutes les consolations qui peuvent vous rendre la vie suportable. Je voudrais être avec vous à st Joseph dans l’apartement de Formont. J’y viendrais si je pouvais m’arracher à mes travaux de toute espèce, et à une partie de ma famille qui est avec moi. Consolez moi d’être loin de vous en fesant hardiment ce que je vous demande.

Soiez bien persuadée, Madame, que vous n’avez pas dans le monde un homme plus attaché que moi, plus sensible à vôtre mérite, plus entousiaste de vous, de vôtre grand-maman et de son mari.

V.