(1771) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1771) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous avez brûlé madame tout ce qu’on a écrit sur les parlements.
Eh bien brûlez donc encor cette troisième édition d’un écrithttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1210414_1key001cor/nts/001 composé à Lyon. Mais ne brûlez pas la page 7 qui contient les justes éloges du mari de votre grand maman. Vous devriez bien si vous avez de l’amitié pour moy envoier cette page 7 à madame Barmécide. Je vous répète que je ne serai jamais ingrat mais que je n’oublierai jamais le chevalier de la Bare et mon ami le fils du président de Tallonde qui fut condamné au supplice des parricides pour une très légère faute de jeunesse. Il de déroba par la fuitte à cette boucherie de cannibales. Je le recommandai au Roy de Prusse, qui lui a donné en dernier lieu une compagnie de cavaleriehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1210414_1key001cor/nts/002. A peine se souvient on dans Paris de cette horreur abominable. La légèreté française danse sur le tombeau des malheureux.

Pour moi, je n’ai jamais mis ma légèreté à oublier ce qui fait frémir la nature. Je déteste des barbares, et j’aime mes bienfaicteurs. Vous aimez les Anglais, n’aiez donc pas de l’indifférence pour un homme qui est tout aussi anglais qu’eux. Songez d’ailleurs que je vis dans un désert où je veux mourir, à moins que je n’aille mourir en Suisse. Songez que je ne dis que ce que je pense, et qu’il y a soixante ans que je fais ce métier. Songez qu’aiant fondé une Colonie dans ma Sibérie je dois aprouver infiniment la grâce que fait le Roi à tous les seigneurs des terres de paier les frais de leurs justices.

Je sais bien encor une fois, qu’à Paris on ne fait pas la moindre attention à ce qui peut faire le bonheur des provinces. Je sais qu’on ne s’occupe que de souper et de dire son avis au hazard sur les nouvelles du jour. Il faut d’autres occupations à un homme moitié cultivateur et moitié philosophe. Je me suis ruiné à faire du bien. Je ne demande aucune grâce à personne, et je ne veux rien de personne. Si jamais je vais à Paris pour une opération qu’on dit qu’il faut faire à mes yeux, et qui ne réussira pas, ce sera beaucoup plus pour avoir la consolation de m’entretenir avec vous que pour recouvrer la vue, et pour prolonger ma vie. Un hazard assez malheureux me amena en France il y a près de vingt ans. Je ne devrais pas y être, parce que je ne pense pas à la française; mais quand je serais Russe, comptez, Madame, que je vous serai attaché jusqu’à mon dernier moment avec des sentiments aussi inaltérables que ma façon de penser.