(1770) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1770) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

En bien, Madame, je ne peux en faire d'autre; je ne peux louer les gens sérieusement en face.
Vous vous doutez bien que les six vers qui commencent par, Etudiez leur goût, sont pour la petite fille, et tout le reste pour la grand mamanhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200379_1key001cor/nts/001. J'ai été bien aise de finir par La Harpe, parce que le mari de la grand maman lui fait du bien, et lui en poura faire encor.

Il faut un tant soi peu de satire pour égaier les louanges. La satire est très juste, et tombe sur le plus détestable fou que j'aie jamais Lu. Son Héloïse me parait écrite moitié dans un mauvais lieu, et moitié aux petites maisons. Une des infâmies du siècle est d'avoir aplaudi quelque tems à ce monstrueux ouvrage. Les Dames qu'il outrage sont assurément d'une autre nature que lui. La Zaïde de Made de la Fayette vaut un peu mieux que la Suissesse de Jean Jaques qui accouche d'un faux germe pour se marier. Ce polisson m'ennuie et m'indigne, et ses partisans me mettent en colère. Cependant, il faut être véritablement philosophe et calmer ses passions, surtout à nos âges.

Vôtre hommehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200379_1key001cor/nts/002 qui ne s'intéressait qu'à ce qui le regardait doit vous racommoder avec la philosophie. Tout ce qui regarde le genre humain doit nous intéresser essentiellement, parce que nous sommes du genre humain. N'avez vous pas une âme? n'est elle pas toute remplie d'idées ingénieuses et d'imagination? S'il y a un Dieu qui prend soin des hommes et des femmes n'êtes vous pas femme? S'il y a une providence n'est elle pas pour vous comme pour les plus sottes bégueules de Paris? Si la moitié de st Domingue vient d'être abiméehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200379_1key001cor/nts/003, si Lisbonne l'a été, la même chose ne peut elle pas arriver à vôtre apartement de St Joseph?

Un diable d'homme, inspiré par Belzébuth, vient de publier un livre intitulé le Sistême de la nature dans lequel il croit démontrer à chaque page qu'il n'y a point de Dieu. Ce livre effraie tout le monde, et tout le monde veut le lire. Il est plein de longueurs, de répétitions, d'incorrections, et malgré tout celà on le dévore. Il y a beaucoup de choses qui peuvent séduire, il y a de l'éloquence, et quoi qu'il se trompe grossièrement en quelques endroits, il est fort audessus de Spinosa.

Aureste, croiez que la chose vaut bien la peine d'être éxaminée. Les nouvelles du jour n'en aprochent pas, quoiqu'elles soient intéressantes. Ceux qui disent que les pairs du Roiaume ne peuvent être jugés par les pairs et par le roi, sans le parlement de Paris, me paraissent ignorer l'histoire de France. Il semble qu'a force de livres on est devenu ignorant. Je ne me mêle point de ces querelles; je songe à celles que nous avons avec la nature. J'en ai d'ailleurs une assez grande avec Genêve. Je lui ai volé une partie de ses habitans, et je fonde ma petite Colonie que le mari de vôtre grand maman protège de tout son cœur. Il n'y a maintenant qu'un tremblement de terre qui puisse ruiner mon établissement; mais je veux que celui à qui j'ai tant d'obligations donne son denier à la Statue, et je veux surtout qu'il donne très peu, premièrement parce qu'on n'en a point du tout besoin, secondement parce qu'il donne trop de tous les côtés. C'est une affaire très sérieuse; je casserais à la statue les bras et les jambes si son nom ne se trouvait pas sur la liste.

Adieu, Madame, faittes comme vous pourez; vivez, portez vous bien, digérez, cherchez le plaisir s'il y en a, luttez contre cette fatale nature dont je parle sans cesse et où j'entends si peu de chose; aiez de l'imagination jusqu'à la fin et aimez vôtre très ancien serviteur, qui vous est plus attaché que tous vos serviteurs nouveaux.

V.