(1770) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1770) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je vous ai plus d'une fois parlé à cœur ouvert, madame; il est actuellement fendu en deux, et je vous envoie les deux moitiés dans cette lettre.
L'envie et la médisance sont deux nimphes immortelles; ces demoiselles ont repandu que certains philosophes que vous n'aimez pas, avaient imaginé de me dresser un Statue comme à leur député, que ce n'était point les belles Lettres qu'on voulait encourager, mais qu'on voulait se servir de mon nom et de mon visage, pour ériger un monument à la liberté de penser. Cette idée dans laquelle il y a du plaisant, peut me faire tort auprès du Roi. Onhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200326_1key001cor/nts/001 m'assure même que vous avez pensé comme moi, et que vous l'avez dit à une de vos amies.

Cette pauvre philosophie est un peu persécutée. Vous savez que le gros recueil de l'enciclopédie est prisonier d'état à la Bastille avec st Billard et st Grisel. Celà est de fort mauvaise augure.

Je me trouve actuellement dans une situation où j'ai le plus grand besoin des bontés du Roy. Je ne sais si vous savez que j'ai recueilli chez moi une centaine d'émigrants de Genêve, que je leur bâtis des maisons, que j'établis une manufacture de montres, et si le Roi ne nous accorde pas des privilèges qui nous sont absolument nécessaires, je cours risque d'être entièrement ruiné, surtout après les distinctions dont Mr l'abbé Terray m'a honoré.

Il est donc très expédient qu'on n'aille point dire au Roi en plaisantant à souper, Les Enciclopédistes font sculpter leur patriarche. Cette raillerie qui pourait être trop bien reçue me porterait un grand préjudice. Je pourais offrir ma protection en Sibérie, et au Kamshatka, mais en France j'ai besoin de la protection de bien des gens, et même de celle du Roy. Il ne faut donc pas que ma statue de marbre m'écrase. Je me flatte que les noms de M: et de Madame De Choiseul à la tête des souscripteurs seront ma sauvegarde.

J'aurai l'honneur de vous envoier, Madame, les articles de la petite enciclopédie que je croirai pouvoir vous amuser un peu, car il ne s'agit à nos âges que de passer le tems, et de glisser sur la surface des choses. On doit avoir fait ses provisions un peu avant l'hiver, et quand il est venu il faut se chaufer doucement au coin du feu qu'on a préparé.

Adieu, Madame, jouïssez du peu que la nature nous laisse. Soumettons nous à la nécessité qui gouverne toute chose. Homère avoue que Jupiter obéissait au destin; il faut bien que nos imaginations lui obéissent aussi. Mon destin est de vous être tendrement attaché justqu'à ce que mon faible corps soit changé en chou ou en carotes.

V.