(1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Votre dernière lettre est du 5, ma dernière est du 8.
J'en attendois une nouvelle de vous pour Eviter que nos lettres se croisassent; elle n'arrive point, Je m'ennuye de ce long silence J'ay du scrupule de n'avoir pas encore obéï à la grand maman qui m'avoit chargéhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200211b_1key001cor/nts/002 de vous dire beaucoup de choses, peutêtre vous les aura t'elle écrit elle même, mais elle dit si bien qu'il n'y a pas d'inconvénient à la répéter. Je vais la transcrire.

'Je vous envoye ma chère petitte fille une requettehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200211b_1key001cor/nts/003 que mr de Voltaire m'a Envoyée; vous verrez qu'elle est adressée au roy et qu'il dit en note que l'instance est au conseil. Le sujet en est très intéressant; la cause qu'il défend est certainement bonne en soy, mais Je crains bien que la manière un peu trop philosophique dont elle est traitée, et le nom de mr de Voltaire n'i nuisent beaucoup. Comme votre comerce avec lui est plus régulier que le mien, Je vous prie la première fois que vous lui Ecrirez de lui accuser pour moi la réception de cette requette et de l'en remerçier. Dites lui en même tems, vous qui êtes en droit de lui tout dire que vous ne lui conseillez pas de badiner avec le roy, que les oreilles des rois ne sont pas faites comme celles des autres hommes, et qu'il faut leur parler un langage plus mesuré. Je vous prie aussy d'envoyer la requette au grand papa dès que vous l'aurez lüe. Je la lui annonce'.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200211b_1key001cor/nts/004

Dans une seconde lettrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200211b_1key001cor/nts/005, elle me mande que vous lui avez Ecrit sous l'adresse de sa femme de chambre, en lui envoyant six montres, qu'elle les a envoyée sur le champ à son mari, qu'elle le menace de les prendre toutes six sur son compte s'il ne les fait pas achetter par le roy.

Voilà Je crois toutes les commissions dont Je suis chargée, mais après m'en être acquittée Je n'ay pas tout dit, il faut que Je parle pour moi à mon tour.

Votre requette m'a parû le modèle du stile des avocats; peutêtre voudrois-je en retrancher le ton philosophique qui n'est pas nécessaire pour combatre l'injustice.

Vos derniers cahiershttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200211b_1key001cor/nts/006 m'ont ravies; l'article âme me détermineroit seul à me rendre votre Ecolière. Il y a long tems que Je pense que la seule chose qu'on puisse bien sçavoir c'est que nous sommes faits pour ignorer tout. Le doûte me paroit si naturel et si sage que Je n'ose m'Elever contre les affirmations, de peur de me laisser entrainer à affirmer moi même. Tout ce que nous ne pouvons pas comprendre nous doit être aussi inutile qu'impossible à croire, http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200211b_1key001cor/txt/001quelque réalité dont puisse être la chose dont on nous parle, sauf la révélation;http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200211b_1key001cor/txt/001 un aveugle né peut il se soumettre à croire les couleurs? qu'est ce que ce seroit que sa soumission? qui pourroit t'elle satisfaire? Il n'y a que des foux qui pourroient l'exiger. Ma philosophie est terre à terre; voyez si vous voulez d'une d'une telle Ecolière? Mais soit instinct, sentiment ou raison Je n'auray Jamais d'autres maître que vous.

J'aime beaucoup votre triomphe sur le fripon Jesuite. Je vous promet la vie Eternelle mon cher Voltaire; si vous n'en Jouissez pas dans le ciel vous en Jouirés dans tous les cœurs de ceux qui resteronts sur terre. Je voudrois bien passer avec vous le peu de tems qui me reste à l'habiter, vous fortifieriez en moi ce qu'on appelle âme qui de Jour en Jour s'affoiblit et s'attriste. Ah vous avez raison, on seroit heureux si l'on passoit ses 24 heures sans douleur et sans Ennuy. Si on me donnoit un souhait à faire, avec la certitude qu'il seroit Exaucé, J'aurois bientôt dit, ce n'est ni la fortune, ni les honneurs, ni même une parfaite santé que Je désire, c'est le don de ne me Jamais ennuyer. Vous pouvez mon cher contemporains remplir mon souhait en m'envoyant tout ce que vous faites; ne retranchez rien, Excepté Les articles sciences où Je ne pourrois rien comprendre.

Je ne sçay point encore ce que le grand papa aura répondû à la grand maman sur http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200211b_1key001cor/txt/002votre requette et surhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200211b_1key001cor/txt/002 vos montres, dès que je le sçauray Je vous le manderai. Adieu.