Qui moi madame! que je n'aie point répondu à une de vos lettres! que je n'aie pas obéi aux ordres de celle qui m'honore depuis si longtemps de son amitié! de celle pour qui je travaille jour et nuit, malgré tous mes maux?
Vous sentez bien que je ne suis pas capable d'une pareille lâcheté. Tout ours que je suis, soiez persuadée que je suis un très honnéte ours.
Je n'ai point du tout entendu parlér de monsieur Crafort. Si j'avais sçu qu'il fût à Paris, je vous aurais supliée très instament de me protégér un peu auprès de lui, et de faire valoir les sentimens d'estime et de reconnaissance que Je lui dois.
Vous m'anoncez madame, que monsieur Robertson veut bien m'envoiér sa belle histoire de Charles-quint qui a un très grand succez dans L'Europe et que vous aurés la bonté de me la faire parvenir. Je l'atends avec la plus grande impatience; je vous suplie d'ordonnér qu'on la fasse partir pas les guinbardeshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190444_1key001cor/nts/002 de Lion. C'était autrefois un bien vilain mot que celui de guinbarde; mais vous savez que les mots et les idées changent souvent chez les Français, et vous vous en appércévez tous les jours.
Vous avés la bonté madame, de m'anoncér une nouvelle cent fois plus agréable pour moi que tous les ouvrages de Robértson. Vous me dites que vôtre grand papa, le mari de vôtre grand maman se porte mieux que jamais; j'étais inquiet de sa santé; vous savez que je l'aime comme monsieur l'archevêque de Cambrai aimait dieu, pour lui même. Vôtre grand maman est adorable. Je m'imagine l'entendre parler quand elle écrit▶. Elle me mande qu'elle est fort prudente. De là je juge qu'elle n'a montré qu'à vous les petits versiculetshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190444_1key001cor/nts/003 de monsieur Guillemet.
Si je retrouve un peu de santé dans le triste état où je suis, je vais me remettre à travaillér pour vous. Je ne vous ◀écrirai point des lettres inutiles, mais je tâche de faire des choses utileshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190444_1key001cor/nts/004 qui puissent vous amusér. C'est à vous que je veux plaire; vous étes mon public. Je voudrais pouvoir vous désennuiér quelques quarts d'heures, quand vous ne dormez pas, quand vous ne courez pas, quand vous n'êtes pas livrée au monde. Vous faites très bien de chercher la dissipation, elle vous est nécessaire, comme à moi la retraite.
Adieu madame, jouissez de la vie autant qu'il est possible; et soiez bien sûre que je suis à vous, que je vous appartiens, jusqu'au dernier moment de la miene.