Ouï, Madame, je veux vous adresser mes idées sur le stile d'aujourd'hui, sur l'extinction du génie, et sur les abus de ce qu'on appelle esprit.
Mais avant d'entreprendre cet ouvrage, il faut que je vous parle de cette histoire du parlement que vous vous êtes fait lire. Vous vous apercevrez aisément que les deux derniers chapitres ne peuvent être de la même main qui a fait les autres. Ils sont remplis de solescismes et de faussetés. Le barbouilleur qui a joint ce tableau grimaçant aux autres qui paraissent assez fidèles, dit autant de sottises que de mots.
Il prend le président de Besigni pour le président de Nassigni. Il dit que le Roi a donné des pensions à tous les juges de Damiens; et il est public qu'il n'en a donné qu'aux deux raporteurs. Il se trompe sur toutes les dates; il se trompe sur mr De Machault.
Si vous vous souvenez de ce petit ouvrage que mr De Belestat s'attribuait, et qu'il était incapable de faire, vous trouverez que ces deux chapitres sont du même stile. Je ne veux pas aprofondir cette nouvelle iniquité; mais je vous répéterai ce que je viens d'écrire à vôtre grand-maman. Il y a autant de friponeries parmi les gens de Lettres, ou soi-disant tels, qu'à la cour. Je ne veux pas les dévoiler pour l'honneur du corps. Je suis comme les prêtres qui sauvent toujours autant qu'ils le peuvent l'honneur de leurs confrères. Il y a pourtant tel confrèrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190250_1key001cor/nts/001 que j'aurais fait pendre assez volontiers.
La Beaumelle fit autrefois une éditionhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190250_1key001cor/nts/002 de la Pucelle dans laquelle il y avait des vers contre le Roi et contre made De Pompadour; et malheureusement ces vers n'étaient pas mal tournés. Il les fit parvenir à made De Pompadour elle même avec un sinethttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190250_1key001cor/nts/003 qui marquait la page où elle était insultée. Celà est plus fort que les deux derniers chapitres.
On joua de pareils tours à Racine; et le Misantrope de Moliere en citehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190250_1key001cor/nts/004 un de cette espèce. Ce qui m'étonne c'est qu'on fasse de ces horreurs sans aucun intérêt que celui de nuire, et sans y pouvoir rien gagner. Je conçois bien à toute force qu'on soit fripon pour devenir pape ou Roi. Je conçois même qu'on se permette quelques petites perfidies pour devenir la maîtresse d'un Roi ou d'un pape; mais les méchancetés inutiles sont bien sottes; j'en ai vu beaucoup de ce genre en ma vie, mais après tout il y a de plus grands malheurs, et je n'en sais point de pires que la perte des yeux et de l'estomac. Par quelle fatalité faut-il que la nature soit nôtre plus cruelle ennemie? Je commence déjà à redevenir vôtre confrère quinzevingt parce qu'il est tombé de la neige sur nos montagnes. Je pourais bien aller passer mon hiver dans les païs chauds, comme font les cailles et les hirondelles qui sont beaucoup plus sages que nous.
Vous m'avez parlé quelquefois d'un petit livrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190250_1key001cor/nts/005 sur la raison des animaux. Je pense comme l'auteur. Les essaims de mes abeilles se laissent prendre une à une pour entrer dans la ruche qu'on leur a préparée; elles ne blessent alors personne, elles ne donnent pas un coup d'aiguillon. Quelque tems après il vint des faucheurs qui coupèrent l'herbe d'un pré rempli de fleurs qui convenaient à ces demoiselles, elles allèrent en corps d'armée deffendre leur pré, et mirent les faucheurs en fuite. Nos guerres ne sont pas si justes, il s'en faut beaucoup. Si on se contentait de deffendre son bien, on n'aurait rien à se reprocher, mais on prend le bien d'autrui et cela n'est point du tout honnête. Cependant, il faut avouer que nous sommes un peu moins barbares qu'autrefois, la société est un peu perfectionée. Je m'en raporte à vous, Madame, qui en êtes l'ornement. Je me mets à vos pieds.