Je viens de faire ce que vous voulez, Madame, vous savez que je me fais toujours lire pendant mon diner.
On m'a lu un éloge de Moliere qui durera autant que la langue française, c'est le Tartuffe. Je n'ai point lu celuihttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190216_1key001cor/nts/001 qui a été couronné à l'académie. Les prix institués pour encourager les jeunes gens sont très bien imaginés. On n'exige pas d'eux des ouvrages parfaits; mais ils en étudient mieux la langue; ils la parlent plus correctement, et cet usage empêche que nous ne tombions dans une barbarie complette. Les Anglais n'ont pas besoin de travailler pour des prix; mais il n'y a point chez eux de bons ouvrages sans récompense; celà vaut mieux que des discours académiques. Ces discours sont précisément comme les Thêmes que l'on fait au collège. Ils n'influencent en rien sur le goût de la nation. Ce qui a corrompu le goût c'est principalement le théâtre où l'on aplaudit à des pièces qu'on ne peut lire; c'est la manie de donner des préceptes quand on ne peut donner des éxemples; c'est la facilité de faire des choses médiocres en pillant le siècle passé, et en se croiant supérieur à lui. Je prouverais bien que les choses passables de ce tems cy sont toutes puisées dans les bons écrits du tems de Louis 14. Nos mauvais livres sont moins mauvais que les mauvais qu'on fesait du tems de Boileau, de Racine et de Moliere, parce que dans ces plats ouvrages d'aujourd'hui, il y a toujours quelques morceaux tirés visiblement des auteurs du règne du bon goût. Nous ressemblons à des voleurs qui changent et qui ornent ridiculement les habits qu'ils ont dérobés depeur qu'on ne les reconnaisse.
A cette friponerie s'est jointe la rage de la dissertation, et celle du paradoxe. Le tout compose une impertinence qui est d'un ennui mortel.
Je vous promets bien, madame, de prendre toutes ces sottises en considération l'hiver prochain si je suis en vie, et de faire voir à mes chers compatriotes que de Français qu'ils étaient ils sont devenus Welches.
Ce sont les derniers chapitres que vous avez lus qui sont assurément d'une autre main, et d'une main très mal adroite. Il n'y a ni vérité dans les faits, ni pureté dans le stile. Ce sont des guenilles qu'on a cousües à une bonne étoffe.
On va faire une nouvelle édition des Guebres que j'aurai l'honneur de vous envoier. Criez bien fort pour ces bons Guebres, Madame, criez, faittes crier; dites combien il serait ridicule de ne point jouer une pièce si honnête, tandis qu'on représente tous les jours le Tartuffe. Ce n'est pas assez de haïr le mauvais goût, il faut détester les hipocrites et les persécuteurs; il faut les rendre odieux et en purger la terre. Vous ne détestez pas assez ces monstres là, je vois que vous ne haïssez que ce qui vous ennuie; mais pourquoi ne pas haïr aussi ceux qui ont voulu vous tromper et vous gouverner? Ne sont ils pas d'ailleurs cent fois plus ennuieux que tous les discours académiques, et n'est-ce pas là un crime dont vous devez les punir? Aiez, je vous en prie, le plaisir de les abhorrer. Mais en même tems, n'oubliez pas d'aimer un peu le vieux solitaire qui vous sera tendrement attaché tant qu'il vivra.
Vous savez que vôtre grand maman m'a envoié un soulier d'un pied de Roi de longueur. Je lui ai envoié une paire de bas de soie qui entrerait à peine dans le pied d'une Dame chinoise. Cette paire de bas c'est moi qui l'ai faitte; j'y ai travaillé avec un fils de Calas. J'ai trouvé le secret d'avoir des vers à soie dans un païs tout couvert de neiges sept mois de l'année; et ma soie dans mon climat barbare est meilleure que celle d'Italie. J'ai voulu que le mari de vôtre grandmaman, qui fonde actuellement une colonie dans nôtre voisinage, vit par ses yeux qu'on peut avoir des manufactures dans nôtre climat horrible.
Je suis bien las d'être aveugle tous les hivers; mais je ne dois pas me plaindre devant vous; je serais comme ce sot prêtre qui osait crier parce que les Espagnols le fesaient brûler en présence de son Empereur qu'on brûlait aussi; vous me diriez comme l'Empereur, Et moi suis-je sur un lit de roses?http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190216_1key001cor/nts/002 Vous êtes malheureuse toute l'année, et je ne le suis que quatre mois. Je suis bien loin de murmurer; je ne plains que vous. Pourquoi les causes secondes vous ont elles si maltraittée? pourquoi donner l'être sans donner le bien être? C'est là ce qui est cruel.
Adieu, madame, consolons nous.