(1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je vous ai envoié en grand secret, Madame, la Tragédie des Guébres.
Vous me feriez une peine extrême si vous disiez publiquement vôtre pensée sur cette tolérance dont vous ne vous souciez guères, et qui me touche infiniment. Vous n'êtes informée que des plaisirs de Paris, et je le suis des malheurs de trois ou quatre cent mille âmes qui souffrent dans les provinces. On ne veut pas les reconnaître pour citoiens, leurs mariages sont nuls, on déclare leurs enfans bâtards. Un jeune homme de la plus grande espérance, plein de candeur et de génie, m'aporta il y a près de six mois cet ouvrage que je vous ai envoié. J'ai beaucoup travaillé avec lui, je l'ai aidé de mon mieux. Les comédiens allaient jouer la pièce lorsque des magistrats qui ont cru reconnaître nos prêtres dans les prêtres paiens s'y sont oposés. Les comédiens étaient enchantés de cet ouvrage qui est très neuf, et qui aurait été encor plus utile.

Gardez vous bien, madame, d'être aussi difficile que le procureur du Roi du Chatelet. Je crois que cette Tragédie sera bientôt imprimée à Paris. On la jouera si les honnêtes gens le désirent fortement; leur voix dirige à la fin l'opinion des magistrats mêmes. Mes amis feront tout ce qu'ils pouront pour obtenir cette justice. Je vous mets à leur tête, madame, et je vous conjure d'emploier pour mon jeune homme toute votre éloquence et toutes vos bontés.

Faittes vous lire la pièce par un bon récitateur de vers. Vous verrez aisément de quoi il s'agit, et vous viendrez à notre secours. Je vous le demande avec la plus vive instance.

Quant à l'histoire du parlement, c'est une rapsodie. Les derniers chapitres sont d'un sot et d'un ignorant qui ne sait ni le français, ni l'histoire.

Mon dernier chapitre à moi c'est de vous aimer très tendrement, et de souhaitter avec une passion malheureuse de vous voir et de vous entendre.

Adieu, madame, cette vie n'est pas semée de roses.

V.