(1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ma nièce me dit, madame, que vous vous plaignez de mon silence, et que vous voiez bien qu'un dévot comme moi craint de continuer un commerce scandaleux avec une Dame profane telle que vous l'êtes.
Eh mon Dieu, madame, ne savez vous pas que je suis tolérant, et que je préfère même le petit nombre qui fait la bonne compagnie de Paris au petit nombre des élus? Ne savez vous pas que je vous ai envoié par vôtre grand-maman les lettres d'Amabed, dont j'ai reçu quelques éxemplaires de Hollande? Il y en avait un pour vous dans le paquet. N'ai-je pas encor songé à vous procurer la tragédie des Guêbres, ouvrage d'un jeune homme, qui parait penser bien fortement, et qui me fera bientôt oublier? Pour moi, Madame, je ne vous oublierai que quand je ne penserai plus, et lorsqu'il m'arrivera quelque ballot de pensées des païs étrangers, je choisirai toujours ce qu'il y aura de moins indigne de vous pour vous l'offrir. Vous serez bientôt lasse des contes des fées. Quoique vous en disiez je ne regarde ce goût que comme une passade.

Avez vous lu l'histoire d'Angleterre de mr Hume? Il y a là de quoi vous occuper trois mois de suitte. Il faut toujours avoir une bonne provision devant soi.

Il parait en Hollande une histoire du parlement écrite d'un stile assez hardi et assez serré, mais l'auteur ne raporte guères que ce que tout le monde sait, et le peu qu'on ne savait pas ne mérite point d'être connu, ce sont des anecdotes du greffe. Il est bien ridicule qu'on m'impute un tel ouvrage. Il a bien l'air de sortir des mêmes mains qui souillèrent le papier de quelques invectives contre le président Hénaut il y a environ deux années; c'est le même stile; mais je suis accoutumé à porter les iniquités d'autrui. Je ressemble assez à vous autres mesdames à qui on donne une vingtaine d'amants quand vous en avez eu un ou deux.

Deux hommes que vous connaissez sans doute, Mr Le Comte de Shomberg, et le marquis de Jaucourt, ont forcé ma retraitte et ma léthargie. Ils sont très contents de mes progrès dans la culture des terres, et je le suis d'avantage de leur esprit, de leur goût et de leurs agréments. Ils aiment ma campagne et moi je les aime. Ah! madame, si vous pouviez jouïr de nos belles vues! Il n'y a rien de pareil en Europe; mais je tremble de vous faire sentir vôtre privation. Vous mettez à la place tout ce qui peut consoler l'âme. Vous êtes recherchée comme vous le fûtes en entrant dans le monde; on ambitione de vous plaire; vous faittes les Délices de quiconque vous aproche. Je voudrais être entièrement aveugle et vivre auprès de vous.