(1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

J'ay reçue deux de vos présent Monsieur, par la Grand Mamanhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190087_1key001cor/nts/001; elle a joint au dernier la Copie de la lettre de Mr. Guillemet, où il est fait mention de moy; J'avois résolue de ne point Ecrire à ce Monsieur Guillemet, jusqu'à ce qu'il me fit quelques agaceries; Je me souvenois qu'il m'avoit dithttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190087_1key001cor/nts/002, qu'il Ecrivoit volontiers quand il avoit un thême, mais qu'il n'aimoit point à Ecrire quand il n'avoit rien à dire; c'étoit une leçon qu'il me fesois, Je m'y soumettois avec peine; mais je me serois fais scrupule de ne la pas suivre; vous avez levez l'interdiction, ainsy prenez vous en à vous même sy je vous importune.

Vos lettres d'Amabed, m'ont fais beaucoup de plaisir; La préface, et l'épitre Dédicatoire des Guèbres, ne me paroissent pas de la même main que la Tragédiehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190087_1key001cor/nts/001.

La petite fille aime les Vers; mais ce sont les vers de Monsieur Guillemet qu'elle aime; elle trouve que les Guèbres vaudroient bien mieux s'ils parloient en Prose, et du même stile que la préface et l'Epitre Dédicatoire.

Monsieur de Voltaire ayez pitié de moy, tous les vivans m'ennuyent, indiqué moy quelques mort qui puissent m'amuser; J'ay rélüe vingt fois les livres qui me plaise, et je suis toujours obligée d'y revenir; Je voudrois une brochure de vous toutes les semaines, je suis persuadée que vous pouriés fournir à cette dépence; Je crois qu'il n'y a qu'une Certaine dose d'imagination, pour chaque siècle, et qui est éparpillé dans les différentes nations; vous vous en êtes emparé subtilément, et n'en avez pas laissé un Grain à personne; c'est donc à vous à distribuer vos richesses; et dans vos largesses il faut préférer vôtre bonne et ancienne amie.

La Grand Maman est à Chanteloup depuis le vingt neuf avril, son absence a mis le Comble à mes ennuyes; elle arrive mercrédy, mais pour aller tout de suitte à Compiegne; si vous Connoissiés cette Grand Maman, vous en seriés fou; elle est comme vous, elle a tout envahie. Ah! son siècle n'est pas digne d'elle.

Je crois que Monsieur Guillemet ne se flatte pas qu'on lui écrive des Gazette; d'ailleur ce n'est pas mon talent, et de plus, la nouvelle du jour, est détruite par celle du lendemain; il y à un livrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190087_1key001cor/nts/003 icy qui fait beaucoup de bruit, dont il n'y à dit on que trois ou quatre exemplaires; je ne l'ay point encore lüe; on dit qu'il est de main de maitre; J'ay pris des mésures pour l'avoir; nous avons eû icy un opéra Comiquehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190087_1key001cor/nts/004 qui a un succès inoüy, c'est le déserteur, il vous ferois plaisir. Les paroles sont de Sédaine, Je ne sçaye si les ouvrages de cette auteur passeront à la Postérité; je ne sçaye pas s'il ne seroit pas dangereux qu'il devint model; les Genuite http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190087_1key001cor/nts/005 désgénèrent toujours; mais ce Sedaine a un genre qui fait un Grand effet, il a trouvé de nouvelle Cordes pour exciter la sensibilité; il va droit au Cœur, et laisse là tous les détours d'une métaphysique que Je trouve détestable en tous genres; on la place partout, et même en musique; plus la musique est recherchée et travaillée plus elle a de succés; Il y a icy un fameux joueur de violon qui faisois des prodiges sur sa chanterelle; un homme disoit à un autre, Monsieur, n'êtes vous pas enchanté, n'êtes vous au Comble de l'admiration, sentez vous combien cela est difficile? Ah! Monsieur, dit l'autre, je voudrois que cela fût impossible. C'est ce que je dirois de tous les auteurs qui sautent à pied Joint sur le bon sens, pour nous faire des raisonnemens fatiguans, ennuyeux et faux; je metterois à leurs têtes Monsieur J. Jacques et puis tout ses prosélytes.

Adieu Monsieur, cette lettre est d'une insuportable longueur, ne Craignez point la récidive, vous me ferez toujours taire quand vous voudrez.