Vous me marquâtes, Madame, par vôtre dernière Lettre, que vous aviez besoin quelquefois de consolation.
Vous m'avez donné la▶ charge de vôtre pourvoieur en fait d'amusements; c'est un emploi dont ◀le▶ titulaire s'acquite souvent fort mal. Il envoie des choses gaies et frivoles quand on ne veut que des choses sérieuses, et il envoie du sérieux quand on voudrait de ◀la▶ gaité. C'est ◀le▶ malheur de ◀l'▶absence. On se met sans peine au ton de ceux à qui on parle; il n'en est pas de même quand on écrit; c'est un hazard si ◀l'▶on rencontre juste.
J'ai pris ◀le▶ parti de vous envoier des choses où il y eût à la fois du léger et du grave afin du moins que tout ne fût pas perdu.
Voicy un petit ouvragehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180340_1key001cor/nts/001 contre ◀l'▶athéisme, dont une partie est édifiante et l'autre un peu badine; et voicy en outre mon testamenthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180340_1key001cor/nts/002 que j'adresse à Boileau. J'ai fait ce testament étant malade, mais je ◀l'▶ai égaié selon ma coutume; on meurt comme on a vécu.
Si votre grand-maman est chez vous quand vous recevrez ce paquet, je voudrais que vous pussiez vous ◀le▶ faire lire ensemble, c'est une de mes dernières volontés. J'ai beaucoup de foi à son goût par tout ce que vous m'avez dit d'elle, et je n'en ai pas moins à son esprit par quelques unes de ses lettres que j'ai vues, soit entre ◀les▶ mains de mon gendre Dupuits, soit dans celles de Guillemet, typographe en ◀la▶ ville de Lyon.
Il m'est revenu de toutes parts qu'elle a un cœur charmant. Tout cela joint ensemble fait une grand-maman fort rare. Malgré ◀le▶ penchant qu'ont ◀les▶ gens de mon âge à préférer toujours ◀le▶ passé au présent, j'avoue que de mon tems il n'y avait point de grand maman de cette trempe. Je me souviens que son mari me mandaithttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180340_1key001cor/nts/003 il y a huit ans qu'il avait une très aimable femme, et que celà contribuait beaucoup à son bonheur. Ce sont de petites confidences dont je ne me vanterais pas à d'autres qu'à vous. Jugez si je ne dois pas prier Dieu pour son mari dans mes codiciles. Il fera de grandes choses si on lui laisse ses coudées franches; mais je ne ◀les▶ verrai pas, car je ne digère plus, et quand on manque par là il faut dire adieu.
On me mande que ◀le▶ ◀président▶ Hénaut baisse beaucoup; j'en suis très fâché, mais il faut subir sa destinée.
Le mien est fait il y a longtems. Tout gai que je suis il y a des choses qui me choquent si horriblement que je prendrai congé sans regret. Vivez, madame, avec des amis qui adoucissent ◀le▶ fardeau de ◀la▶ vie, qui occupent ◀l'▶âme, et qui ◀l'▶empêchent de tomber en langueur. Je vous ai déjà dithttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180340_1key001cor/nts/005 que j'avais trouvé un admirable secret, c'est de me faire lire et relire tous ◀les▶ bons livres à table, et d'en dire mon avis. Cette méthode rafraichit ◀la▶ mémoire, et empêche ◀le▶ goût de se rouiller, mais on ne peut user de cette recette à Paris; on y est forcé de parler à souper de ◀l'▶histoire du jour; et quand on a donné des ridicules à son prochain on va se coucher. Dieu me préserve de passer ainsi ◀le peu qui me reste à vivre!
Adieu, Madame, je vivrai plus heureux si vous pouvez être heureuse. Comptez que mon cœur est à vous comme si je n'avais que cinquante ou soixante ans.