(1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vôtre grand-maman, Madame, doit vous avoir communiqué la canonisation de st Cucufin, par laquelle Rezzonico a signalé les dernières années de son sage pontificat.
J'ai cru que celà vous amuserait d'autant plus que cette histoire est dans la plus éxacte vérité.

Je lui ai aussi adressé pour vous quatre volumes du siècle de Louïs 14 pour mettre dans vôtre bibliothêque. Les faits de guerre ne sont pas trop amusants, et je dis hardiment qu'il n'y a rien de si ennuieux qu'un récit de battaille, et surtout de ces batailles inutiles qui n'ont servi qu'à répandre vainement le sang humain. Mais il y a dans le reste de l'histoire des morceaux assez curieux, et vous y verrez assez souvent les noms des hommes avec qui vous avez vécu depuis la régence

Je voudrais pouvoir fournir tous les jours quelque diversion à vos idées tristes. Je sens bien qu'elles sont justes. La privation de la lumière et l'acquisition d'un certain âge, ne sont pas des choses agréables. Ce n'est pas assez d'avoir du courage, il faut des distractions. L'amusement est un remêde plus sûr, que toute la fermeté d'esprit. J'ai le tems de songer à tout celà dans ma profonde solitude avec des yeux éteints et ulcérés, couverts de blanc et de rouge.

http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180299_1key001cor/txt/002Si vous vous souciez d'un petit livre intitulé les singularités de la nature, je vous l'enverrai ainsi qu'à vôtre grand-maman; vous passerez les chapitres qui vous ennuieront, et vous vous ferez lire les autres.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180299_1key001cor/txt/002

Vous me demandez, madame, si j'ai lu des lettres sur les animauxhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180299_1key001cor/nts/001 écrites de Nuremberg. Ouï, j'en ai lu deux ou trois il y a plus d'un an. Vous jugez bien qu'elles m'ont fait plaisir, puisque l'auteur pense comme moi. Il faudrait qu'une montre à répétition fût bien insolente, pour croire qu'elle est d'une nature absolument différente de celle d'un tourne broche. S'il y a dans l'Empirée des êtres qui soient dans le secrêt, ils doivent bien se moquer de nous.

La montre du président Hénaut est donc détraquée. C'est le sort de prèsque tous ceux qui vivent longtems. Mon timbre commence à être un peu fêlé, et sera bientôt cassé tout à fait. Il vaudrait mieux n'être pas né, dites vous; d'accord, mais vous savez si la chose a dépendu de nous. Mais nonseulement la nature nous a fait naître sans nous consulter, mais elle nous fait aimer la vie malgré que nous en aions. Nous sommes prèsque tous comme le bûcheron d'Esopehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180299_1key001cor/nts/002 et de Lafontainehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180299_1key001cor/nts/003. Il y a tous les ans deux ou trois personnes sur cent mille qui prennent congé, mais c'est dans de grands accez de mélancolie. Celà est un peu plus fréquent dans le païs que j'habite. Deux genevois de ma connaissance se sont jettés dans le Rhône il y a quelques mois. L'unhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180299_1key001cor/nts/004 avait cinquante mille écus de rente, l'autrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180299_1key001cor/nts/005 était un homme à bons mots. Je n'ai point encor été tenté d'imiter leur éxemple, premièrement parce que mes abominables fluxions sur les yeux ne me durent que l'hiver, en second lieu parce que je me couche toujours dans l'espérance de me moquer du genre humain en me réveillant. Quand cette faculté me manquera ce sera un signe certain qu'il faut que je parte.

On m'a mandé depuis peu de Paris tant de choses ridicules que celà me soutiendra guaiment encor quelques mois. A l'égard du ridicule de ce B….http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180299_1key001cor/nts/006 il est à faire vômir.

Je me suis extrêmement intéressé à toutes les tracasserieshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180299_1key001cor/nts/007 qu'on a faittes au mari de vôtre grand-maman. Vous ne m'en parlez jamais; vous avez tort, car il n'y a personne qui lui soit plus attaché que moi, et vous savez bien qu'on peut tout écrire sans se compromettre.

Bon soir, madame, je vous aimerai jusqu'à la dernière minute de ma montre.