(1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

J'ay tant de choses à vous dire, que je ne sçaye par où commencer; allons, suivons L'ordre chronologique, et commençons par ce qui regarde la chronologie du Président, dont vous m'avez parlé dans votre dernière lettre; ce n'est point Monsieur de Bellestat qui en fait la Critique; ce n'est point luy qui a Ecrit la lettre que vous m'avez envoyée; et qui donc?
C'est La Beaumelle? Monsieur de Bellestat, et luy, sont en communauté de bien; La Beaumelle fait passer sous son nom tout ce qu'il veut; il se tient visiblement cachéz derrière luy; et le Bellestat ce flatte de passer pour l'autheur et ce persuade peutêtre à la fin qu'il l'est en effet; si vous ne le connoissez que par ses lettres, et si vous ne l'avez jamais vû, vous êtes excusable de vous y tromper; mais ceux qui le connaisse s'accordent tous à dire, que c'est un bœuf, et en même tems un petit maitre, plein de toutes sortes de prétentions; on avoit déjà Ecrit icy du Languedoc, qu'il se donnoit pour l'auteur de cette Brochure; mais il a beau faire et beau dire, on ne le croira pas.

Ne vous figurez pas Monsieur, que le Président vous ayt soupçonné, ni lui ni moyhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180258b_1key001cor/nts/001 n'avons eûs cette pensée; et si quelqu'un a dit l'avoir, il en faisoit semblant, mais je suis bien aise d'avoir cette lettre; il n'est plus permis actuellement d'insinuer le moindre soupçon sur vous; Le Pauvre Président n'est plus en Etat de s'intéresser à rien; sa santé n'est pas mauvaise, mais sa tête ne va pas bien; ne luy écrivez plus sur ce sujet, je vous le demande en Grâce.

La Grand Maman a reçue une lettrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180258b_1key001cor/nts/002 charmante de Mr Guillemet, Typographe en la ville de Lyon; il luy envoye deux exemplaires de l'A, B, C; ah, cet homme est tout aussy aimable que vous, et bien obligeant; il m'auroit envoyé un exemplaire du siècle de Louïs quatorze et de Louïs quinze, s'il y avoit pensé; j'espère qu'à l'avenir il ne nous laissera manquer de rien; oh, je n'ay garde, Monsieur, de vous croire l'auteur de L'A. B. C. Rien ne vous ressemble moins; mais je vous avoueray naturellement, que vous n'avez rien Ecrit qui vaillent mieux; si vous avez à être Jaloux soyez le de Mr. Huet, il n'y a que luy qu'on puisse vous préférer; J'approuve le jugement qu'il porte de Montesquiou; il révolte plusieurs personnes; mais l'extrême admiration qu'on a pour ce bel Esprit ressemble assez à la vénération qu'on a pour les choses sacrée, qu'on respecte d'autant plus que l'on ne les comprend pas; Il y a un petit indouze, dont le titre est: Génie de Montesquiouhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180258b_1key001cor/nts/003; il y a quelques traits brillants, trasendants, mais quantité d'autres infiniment obscurs, inintelligibles, des Lieux communs, des pensées fausses; Jamais, jamais je ne souffrirez patiamment qu'on mette en paralelle Mr. de Montesquiou avec Messieurs Huet, et Guillemet; La Grand Maman est bien de cet avis; vous l'adoreriés si vous la Connoissiés, cette Grand Maman; vous êtes bien souvent le sujet de nos Conversations; elle voudroit que vous abandonnassiés La Bletterie, mais elle ne peut s'empêcher de rire de tout ce qu'il vous fournit de plaisant.

Je vous fais ma Confession, sa traduction m'a fait plaisir; j'aimerais mieux sans doute qu'elle fût plus Energique, mais je haye si fort le stil empoullé, Boursoufflé, et pour dire en un mot le stile académique, que ce qui n'est qu'un peu plat ne me choque pas beaucoup; Je voudrois Monsieur que vous jugeassiés par vous même de ce qu'est devenu le Goût d'aujourd'huy, et quelle choses on admire. Les vershttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180258b_1key001cor/nts/004 de L'abbé de Voisnon au Roy de Dannemark, L'Epigrammehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180258b_1key001cor/nts/005 de Saurin, sur vous, cela ne vous a t'il pas paru bien bon? Les oraisons funèbres, les discours de l'académie, Comment tout cela vous paroit il? Vous ne les lisez point et vous faite bien; pour moy je ne sçaye plus ce que je pourrois lire, hors vous et les auteurs du siècle passé tout m'ennuye à la mort. Je me recommande à vous Mon cher et ancien amy, vous êtes en vérité mon unique ressource.