(1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je vous avais bien dit, Madame, que j'écrivais quand j'avais des Thêmes.
J'ai hazardé d'envoier à vôtre grand-maman ce que vous demandiez. Celà lui a été adressé par la poste de Lyon, sous l'envelope de son mari. Vous n'avez jamais voulu me dire si Messieurs de la poste faisaient à vôtre grand-maman la galanterie d'afranchir ses ports de Lettres. Il y a longtemps que je sais que les femmes ne sont pas infiniment éxactes en affaires.

Vous ne me paraissez pas profonde en théologie quoique vous soiez sœurhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180255_1key001cor/txt/001 d'un trésorier de la sainte chapellehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180255_1key001cor/nts/001. Vous me dites que vous ne voulez pas être aimée par charité; vous ne savez donc pas que ce grand mot signifie originairement amour en latin et en grec. C'est de là que vient mon cher, ma chère. Les barbares welches ont avili cette expression divine, et de charitas ils ont fait le terme infâme qui signifie parmi nous l'aumône.

Vous n'avez point pour les philosophes cette charité qui veut dire le tendre amour, mais envérité il y en a qui méritent qu'on les aime. La mort vient de me priver d'un vrai philosophe, dans le goût de mr De Formonthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180255_1key001cor/nts/002; je vous réponds que vous l'auriez aimé de tout vôtre cœur.

Il est plaisant que vous vous donniez le droit de haïr tous ces messieurs, et que vous ne vouliez pas que j'aie la même passion pour La Blétrie. Vous voulez donc avoir le privilège exclusif de la haine; Eh bien, Madame, je vous avertis que je ne hais plus la Blétrie, que je lui pardonne, et que vous aurez le plaisir de haïr toute seule.

Vous ne m'avez rien répondu sur l'étrange Lettre du marquis de Belesta. Je lui sçais très grand gré de m'avoir justifié; sans celà, prèsque tous ceux qui lisent ces petits ouvrages m'auraient imputé le compliment fait au président Hénaut. Vous voiez comme on est juste.

Je m'aplaudis tous les jours de m'être retiré à la campagne depuis quinze ans. Si j'étais à Paris les tracasseries me poursuivraient deux fois par jour. Heureux qui jouït agréablement du monde; plus heureux qui s'en moque et qui le fuit. Il y a je l'avoue un grand mal dans cette privation; c'est qu'en quittant le monde je vous ai quittée. Je ne peux m'en consoler que par vos bontés et par vos Lettres. Dès que vous me donnerez des thêmes soiez sûre que vous entendrez parler de moi, que je suis à vos ordres, et que je vous enverrai tous les rogatons qui me tomberont sous la main.

Mille tendres respects.

V.