(1768) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1768) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ce n'est pas assurément, Madame, une Lettre de bonne année que je vous écris, car tous les jours m'ont paru fort égaux, et il n'y en a point où je ne vous sois très tendrement attaché.

Je vous écris pour vous dire que votre petite mère, ou grand'mère (je ne sais comment vous l'appellez) a écrit à son protégé Dupuits, une Lettre où elle met, sans y songer, tout l'esprit et les grâces que vous lui connaissez. Elle prétend qu'elle est disgraciée à ma cour, parce que je ne lui ai envoié que le marseillois et le Lyon de St Didier, et qu'elle n'a point eu les trois Empereurs de L'abbé Caille. Mais je n'ai pas osé lui envoier ces trois têtes couronnées, à cause des notes qui sont un peu insolentes, et de plus il m'a paru que vous aimiez mieux le marseillois et le Lyon; c'est pourquoi elle n'a eu que ces deux animaux. Il y a pourtant un vers dans les trois Empereurs qui est le meilleur que L'abbé Caille fera de sa vie. C'est quand Trajan dit aux chats fourés de Sorbonne,

Dieu n'est ni si méchant, ni si sot que vous dites http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180203_1key001cor/nts/001.

Quand un homme comme Trajan prononce une telle maxime, elle doit faire un très grand éffet sur les cœurs honnêtes.

Vôtre petite mère, ou grand'mère a un cœur généreux et compatissant. Elle daigne proposer la paix entre la Blétrie et moi. Je demande pour premier article qu'il me permette de vivre encor deux ans, attendu que je n'en ai que 75, et que pendant ces deux années il me seroit loisible de faire une épigramme contre lui tous les six mois. Pour lui, il mourra quand il voudra.

Saviez vous qu'il a outragé le président Hénaut autant que moi? Tout cecy est la guerre des vieillards. Voicy comme cet apostat janséniste s'exprime page 235, Tome 2d: En revanche, fixer l'époque des plus petits faits avec éxactitude, c'est le sublime de plusieurs prétendus historiens modernes; celà leur tient lieu de génie et de talents historiques.

Je vous demande, Madame, si on peut désigner plus clairement votre ami? Ne devait il pas l'éxcepter de cette censure aussi générale qu'injuste? ne devait il pas faire comme moi qui n'ai perdu aucune occasion de rendre justice à Mr Hénaut, et qui l'ai cité trois foishttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180203_1key001cor/nts/002 dans le siècle de Louïs 14 avec les plus grands éloges? Par quelle rage ce traducteur pincé du nerveux Tacite outrage t-il le président Hénaut, Marmontel, un avocat Linguet et moi, dans des notes sur Tibère? Qu'avons nous à démêler avec Tibère? Quelle pitié! et pourquoi votre petite mère n'avoue t-elle pas tout net que l'abbé de La Blétrie est un mal avisé?

Et vous, Madame, il faut que je vous gronde. Pourquoi haïssez vous les philosophes quand vous pensez comme eux? Vous devriez être leur reine, et vous vous faittes leur ennemie. Il y en a unhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180203_1key001cor/nts/003 dont vous avez été mécontente, mais faut-il que le corps en souffre? est-ce à vous de décrier vos sujets?

Permettez moi de vous faire cette remontrance en qualité de vôtre avocat général. Tout nôtre parlement sera à vos genoux quand vous voudrez, mais ne le foulez pas aux pieds quand il s'y jette de bonne grâce.

Vôtre petite mère et vous, vous me demandez l'a b c. Je vous proteste à toute deux, et à l'archevêque de Paris, et au sindic de la Sorbonne, que l'a b c est un ouvrage anglais, composé par un mr Huet très connu, traduit il y a six ans, imprimé en 1762, que c'est un Rostbifhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180203_1key001cor/nts/004 anglais, très difficile à digérer par beaucoup de petits estomacs de Paris. Et sérieusement, je serais au désespoir qu'on me soupçonât d'avoir été le traducteur de ce livre hardi dans mon jeune âge, car en 1762 je n'avais que 69 ans. Vous n'aurez jamais cette infamie, qu'à condition que vous rendrez par tout justice à mon innocence, qui sera furieusement attaquée par les méchants jusqu'à mon dernier jour.

Aureste, il y a depuis longtems un déluge de pareils livres. La théologie portativehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180203_1key001cor/nts/005 pleine d'excellentes plaisanteries et d'assez mauvaises; L'imposture sacerdotalehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180203_1key001cor/nts/006 traduite de Gordon; La Riforma d'Italiahttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180203_1key001cor/nts/007, ouvrage trop déclamatoire qui n'est pas encor traduit, mais qui sonne le tocsin contre tous les moines; Les droits des hommes et les usurpations des papeshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180203_1key001cor/nts/008, Le christianisme dévoiléhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180203_1key001cor/nts/009 par feu d'Amilaville; Le Militaire philosophehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180203_1key001cor/nts/010 de st Hyacinte; livres tout de raisonnements, et capables d'ennuier une tête qui ne voudrait que s'amuser. Enfin, il y a cent mains invisibles qui lancent des flèches contre la superstition. Je souhaitte passionément que leurs traits ne se méprennent point, et ne détruisent pas la religion que je respecte infiniment, et que je pratique.

Un de mes articles de foi, Madame, est de croire que vous avez un esprit supérieur. Ma charité consiste à vous aimer quand même vous ne m'aimeriez plus, mais malheureusement je n'ai pas l'espérance de vous revoir.