(1768) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1768) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Voici des thêmes, Dieu merci, madame.
Vous savez que mon imagination est stérile quand elle n'est pas portée par un sujet; et que malgré mon attachement de plus de quarente années je suis muet quand on ne m'interroge pas. Je suis un vieux Polichinelle qui ai besoin d'un compère. Vous me dites que le président est à plaindre d'avoir quatre vingts ans. Ce sont ses amis qui sont à plaindre. D'ailleurs, pensez vous que soixante et quinze ans avec des maladies continuelles, et des tracasseries plus tristes, ne valent pas bien quatre vingts ans? Nous sommes tous à plaindre, madame, il faut faire contre nature bon cœur.

Les tracasseries sont encor plus tristes; et les tracasseries imprimées insuportables. Vous me parlez du janseniste, ou de l'exjanséniste La Blétrie. Je suis son serviteur. Il logeait autrefois chez ma nièce Florian et ne cessait de dire du mal de moi. Il imprime aujourd'hui, que j'ai oublié de me faire enterrer http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1170475_1key001cor/nts/001. Ce tour est neuf, agréable et très bien placé dans une traduction de Tacite. Ai-je eu tort de lui prouver que je suis encor en vie? On m'a écrit que dans une autre nottehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1170475_1key001cor/nts/001 aussi honnête, il se contredit, et veut qu'on m'enterre à la façon de Mlle Le Couvreur et de Boindin. Vous m'avouerez que pour peu qu'on ait du goût pour les obsèques, on ne tient point à ces bonnes plaisanteries.

Sérieusement, je ne vous comprends pas, et je ne retrouve ni vôtre amitié ni vôtre équité, quand vous me dites que je devais me laisser insulter par un homme qui a dédié une traduction à M. Le Duc De Choiseul. Je crois Monsieur le Duc De Choiseul et vôtre grand-mère trop justes pour m'immoler à La Blétrie. Vous m'affligez sensiblement.

Je n'aime ni la traduction de Tacite, ni Tacite même comme historien. Je regarde Tacite comme un satirique pétillant d'esprit, connaissant les hommes et les cours, disant des choses fortes en peu de paroles, flétrissant en deux mots un Empereur jusqu'à la dernière postérité. Mais je suis curieux; je voudrais connaitre les droits du sénat, les forces de l'Empire, le nombre des citoiens, la forme du gouvernement, les mœurs, les usages. Je ne trouve rien de tout celà dans Tacite; il m'amuse, et Tite-Live m'instruit. Il n'y a d'ailleurs dans Tacite ni ordre, ni datte. Le président m'a accoutumé à aimer ces deux choses essentielles.

Mr Walpole est d'une autre espèce que Lablétrie. On fait la guerre honnêtement contre des capitaines qui ont de l'honneur, mais pour les pirates on les pend au mât de son vaissau.

J'adresserai à vôtre grand'mère, ce que je pourai faire venir de plus curieux de Hollande. Je sais qu'elle est un très honnête homme. Je compte d'ailleurs sur sa protection autant que je suis charmé de son esprit juste et délicat. Sans justesse dans l'esprit, il n'y a rien.

Souvenez vous toujours Madame, que lorsque je cherche et que j'envoie ces bagatelles pour vous amuser, je vous conjure au nom de l'amitié dont vous m'honorez depuis si longtemps, de ne les confier qu'à des personnes dont vous soiez aussi sûres que de vous mêmes, et de ne pas prononcer mon nom. Il y a des gens qui diraient à peu près comme le curé de Lafontaine,

Autant vaut l'avoir fait que de vous l'envoierhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1170475_1key001cor/nts/003.

Je ne fais rien que mes moissons et le Siècle de Louïs 14, que je pousse jusqu'à 1764. J'y rends justice à tous ceux qui ont servi la patrie en quelque genre que ce puisse être; à tous ceux qui ont été Français et non Welches. Je ne suis ni satirique ni flatteur et je dis hardiment la vérité.

Voilà mes seules occupations; je n'en suis pas moins persécuté par des fanatiques, mais heureusement le fanatisme est sur son déclin d'un bout de l'Europe à l'autre. La révolution qui s'est faitte, depuis vingt ans, dans l'esprit humain, est un phénomène plus admirable et plus utile que les têtes qui reviennent aux limassons.

A propos, Madame, le fait est très vrai, j'en ai fait l'expérience. J'ai eu peine à en croire mes yeux. J'ai vu des Limassons à qui j'avais coupé le cou, manger au bout de trois semaines. St Denis porta sa tête comme vous savez, mais il ne mangea pas.

Adieu, Madame, conservez la vôtre. Hélas! il revient des yeux aux limassons. Adieu, encor une fois. Que je vous plains! que je vous aime! que la vie est courte et triste!