Vous me donnez un thème, Madame, et je vais le▶ remplir: car vous savez que je ne peux écrire pour écrire, c'est perdre son temps et ◀le▶ faire perdre aux autres.
Je vous suis attaché depuis quarante cinq ans. J'aime passionnément à m'entretenir avec vous; mais encor une fois il faut un sujet de conversation.
Je vous remercie d'abord de Cornélie Vestalehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1170446_1key001cor/nts/002. Je me souviens de ◀l'▶avoir vu jouerhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1170446_1key001cor/nts/003, il y a plus de cinquante ans. Puisse ◀l'▶auteur ◀la▶ voir représenter encor dans cinquante ans d'ici! Mais malheureusement ses ouvrages dureront plus que lui, c'est ◀la▶ seule vérité triste qu'on puisse lui dire.
Saint ou profane, dites-vous, Madame? Hélas je ne suis ni dévot ni impie. Je suis un solitaire, un cultivateur enterré dans un pays barbare. Beaucoup d'hommes à Paris ressemblent à des singes. Ici ils sont des ours. J'évite autant que je peux ◀les▶ uns et ◀les▶ autres, et cependant ◀les▶ dents et ◀les▶ griffes de ◀la▶ persécution se sont allongées jusques dans ma retraite, ou a voulu empoisonner mes derniers jours. Ne vous acquittez pas d'un usage prescrit, vous êtes un monstre d'athéisme. Acquittez vous en, vous êtes un monstre d'hypocrisie. Telle est ◀la▶ logique de ◀l'▶envie et de ◀la▶ calomnie. Mais ◀le▶ Roi, qui certainement n'est jaloux ni de mes mauvais vers ni de ma mauvaise prose, n'en croira pas ceux qui veulent m'immoler à leur rage. Il ne se servira pas de son pouvoir pour expatrier, dans sa soixante et quinzième année un malade qui n'a fait que du bien dans ◀le▶ pays sauvage qu'il habite.
Oui, Madame, je sais très bien que ◀le▶ Janséniste ◀la▶ Blétrie demande ◀la▶ protection de M. le Duc de Choiseul. Mais je sais aussi qu'il m'a insulté dans ◀les▶ notes de sa ridicule traduction de Tacitehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1170446_1key001cor/nts/004. Je n'ai jamais attaqué personne, mais je puis me défendre. C'est ◀le▶ comble de ◀l'▶insolence janséniste que ce prêtre m'attaque et trouve mauvais que je ◀le▶ sente. D'ailleurs s'il demande ◀l'▶aumône dans ◀la▶ rue à M. le Duc de Choiseul, pourquoi me dit-il des injures en passant, à moi pour qui M. le Duc de Choiseul a eu de ◀la▶ bonté avant de savoir que ◀la▶ Blétrie existât? Il dit dans sa préface que Tacite et lui ne pouvaient se quitter. Il faut apprendre à ce capelanhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1170446_1key001cor/nts/005 que Tacite n'aimait pas ◀la▶ mauvaise compagnie.
On croira que je suis devenu dévot: car je ne pardonne point. Mais à qui refusé-je grâce? C'est aux méchans, c'est aux insolens calomniateurs. ◀La▶ Blétrie est de ce nombre. Il m'impute ◀les▶ ouvrages hardis dont vous me parlez, et que je ne connais ni ne veux connaitre. Il s'est mis au rang de mes persécuteurs ◀les▶ plus acharnés.
Quant aux petites pièces innocentes et gaies dont vous me parlez, s'il m'en tombait quelqu'une entre ◀les▶ mains dans ma profonde retraite, je vous ◀les▶ enverrais sans doute; mais par qui et comment? Et si on vous ◀les▶ lit devant du monde est-il bien sûr que ce monde ne ◀les▶ envenimera pas? ◀La▶ société à Paris a-t-elle d'autres alimens que ◀la▶ médisance, ◀la▶ plaisanterie et ◀la▶ malignité? Ne s'y fait-on pas un jeu dans son oisiveté de déchirer tous ceux dont on parle? Y a-t-il une autre ressource contre ◀l'▶ennui actif et passif dont votre inutile beau monde est accablé sans cesse? Si vous n'étiez pas plongée dans ◀l'▶horrible malheur d'avoir perdu ◀les▶ yeux, seul malheur que je redoute, je vous dirais: lisez et méprisez, allez aux spectacles et jugez, jouissez des beautés de ◀la▶ nature et de ◀l'▶art. Je vous plains tous ◀les▶ jours, Madame. Je voudrais contribuer à vos consolations. Que ne vous entendez-vous avec Madame la Duchesse de Choiseul pour vous amuser des bagatelles que vous désirez? Mais il faut alors que vous soyez seules ensemble. Il faut qu'elle me donne des ordres très positifs, et que je sois à ◀l'▶abri du poison de ◀la▶ crainte qui glace ◀le▶ sang dans des veines usées. Montrez lui ma lettre, je vous en supplie. Je sais qu'elle a outre ◀les▶ grâces, justesse dans ◀l'▶esprit et justice dans ◀le cœur. Je m'en rapporte entièrement à elle.
Adieu, Madame, je vous respecte et je vous aime autant que je vous plains et je vous aimerai jusqu'au dernier moment de notre courte et misérable durée.