(1768) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1768) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Vrayment, vrayment, Monsieur, J'ay bien d'autres questions à vous faire, sur l'âme des pûces, sur le mouvement de la matière, sur L'opéra Comique et même sur le départ de Mad.
Denis; ma curiosité ne porte jamais sur les choses incompréhensibles, ou sur celles qui ne tiennent qu'au caprice. Vous m'avez satisfaite sur Mad. Denis; satisfaite moy aujourd'huy sur un bruit qui court, et que je ne sçaurois croire; on dit que vous vous êtes confessé et que vous avez communiéz; on l'affirme comme certain; vous devez à mon amitié cet aveü; et de me dire qu'elle ont été vos motifs, vos pensées;http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1170268_1key001cor/nts/001 comment vous vous en trouvez aujourd'huy; et si vous vous en tiendrez à la ste Table, ayant réformé la vôtrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1170268_1key001cor/nts/001; j'ay la plus extrême curiosité de sçavoir la vérité de ce fâite; si il est vray, quel trouble vous allez mettre dans toutes les Têtes! quels Triomphes, et quels Edifications, quels indignations, quel scandal, et pour Tous en Général quel étonnement! Ce sera, sans contredit, faire un Grand bruit.

J'ai reçu vôtre Princesse de Babylone, qui m'a fait grand plaisir; il y a bien de nouvelles brochures dont on m'a parlez, et que vous devriés m'envoyer; je suis plus curieuse de ce qui vient de vous et (à plus juste titre), que vous ne pouvez n'y ne devez l'Etre des prétendues merveilles du Nord. Avez vous lû l'honnête Criminelhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1170268_1key001cor/nts/002; vous a t'il fait fondre en l'armes? C'est l'effet Général qu'il a produit excepté sur quelques mauvais coeurs comme moy, qui pour justifier leur insensibilité, prétendent qu'il n'y a pas un sentiment naturel; Le monde est devenu bien sot depuis que vous l'avez quitté; Il semble que chacun cherche à tâton le vray et le beau, et que personne ne l'atrappe; mais il n'y a personne qui puisse juger des méprises; je ne prétend pas à cet avantage; je ne suis pas plus éclairée qu'un autre; mais j'ai des modelles du beau, du bon, et du vray, et tout qui ne le leur ressemblent pas ne sçauroit me séduire.

Quand je ne vous lis pas, sçavez vous quelle est ma lecture favorite? C'est le journal encyclopédique; j'en ay fait l'acquisition depuis peu; c'est le seul journal que j'ay jamais lû avec plaisir; aije Tort ou raison? Mais Monsieur aije tort, ou raison de causer si familièrement avec vous? et appartient il à une vieille sybille, renfermée dans sa cellule, assise dans un Tonneau, d'interroger, et de fatiguer L'Appollon, Le philosophe, enfin le seule homme de ce siècle? Je crains que nous ne perdions bientôt, celuy qui étoit peut Etre le plus aimable Le pauvre Président; il s'affoiblit tous les jours. Je luy ay lüe votre lettre; Il ne m'a point fait voir la Vôtre; Il m'a seulement dit que vous n'aviés pas lû le suplément à son article Tolérance.

Ah, Monsieur, si vous connoissiés Madame La Duchesse de Choiseul, vous ne diriés pas qu'elle est digne de m'aimer, mais vous diriés que personne n'est digne d'elle et qu'elle est aussy supérieure à toutes les femmes passées, présentes et à venir, que vous l'êtes à tous les beaux esprits de ce siècle.

A Dieu Monsieur, en me répondant laissez courir vôtre plume comme une folle, vous me prouverez que vous m'aimez, vous me divertirez et vous me feray Grand bien.