(1766) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1766) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ennuiez vous souvent, Madame, car alors vous m'écrirez.
Vous me demandez ce que je fais. J'embellis ma retraitte, je meuble de jolis appartements où je voudrais vous recevoir. J'entreprends un nouveau procez dans le goût de celui des Calas, et je n'ai pas pu m'en dispenser, parce qu'un père, une mère et deux filles remplis de vertu et condamnés au dernier suplice, sont réfugiés à ma porte dans les larmes et dans le désespoir. C'est une des petites avantures dignes du meilleur des mondes possibles. Je vous demande en grâce de vous faire lire le mémoire que Mr De Beaumont a fait pour cette famille aussi respectable qu'infortunée. Il sera bientôt imprimé. Je prie Mr Le Président Hainaut de le lire attentivement; vos suffrages serviront beaucoup à déterminer celui du public, et le public influera sur le conseil du Roi. La belle âme de Mr Le Duc De Choiseuil nous protège. Je ne connais point de cœur plus généreux et plus noble que le sien; car, quoi qu'en dise Jean Jaques, nous avons de très honnêtes ministres. J'aimerais mieux assurément, être jugé par Mr Le Prince de Soubise et par Mr Le Duc De Praslin que par le parlement de Toulouse.

Il faudrait, Madame, que je fusse aussi fou que l'ami Jean Jaques pour aller à Vezel. Voicy le fait. Le Roi de Prusse m'aiant envoié cent écus d'aumône, pour cette malheureuse famille des Sirven, et m'aiant mandé qu'il leur offrait un azile à Vezel ou à Clèves, je le remerciai comme je le devais, je lui dis que j'aurais voulu lui présenter moi même ces pauvres gens auxquels il promettait sa protection; il lut ma Lettre devant un fils de Mr Tronchin qui est secrétaire de l'envoié d'Angleterre à Berlin. Le petit Tronchin qui ne pense pas que j'ai soixante et treize ans, et que je ne peux sortir de chez moi, crut entendre que j'irais trouver le roi de Prusse, il le manda à son père, ce père l'a dit à Paris, les gazetiers en ont beaucoup raisonné, et voilà comme on écrit l'histoirehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140463_1key001cor/nts/002.

Il faut que je vous dise pour vous amuser, que le Roy de Prusse m'a mandéhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140463_1key001cor/nts/004 qu'on avait rebâti huit mille maisons en Silésie. La réponse est bien naturelle, Sire, on les avait donc détruittes, il y avait donc huit mille bonnes familles désespérées, vous autrs rois vous êtes de plaisants philosophes.

Jean Jaques, du moins, ne fait de mal qu'à lui, car je ne crois pas qu'il ait pu m'en faire, et made La duchesse de Luxembourg ne peut pas croire que j'aie jamais pu me joindre aux persécuteurs du vicaire Savoyard. Jean Jaques ne le croit pas lui même, mais il est comme Chiant-pothttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140463_1key001cor/nts/005 La perruque qui disait que tout le monde lui en voulait.

Savez vous que l'horrible avanture du chevalier De la Barre a été causée par le tendre amour? Savez vous qu'un vieux maraut d'Abbeville nommé Belleval, amoureux de L'abbesse de Vignancourhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140463_1key001cor/nts/006, et maltraitté comme de raison, a été le seul mobile de cette abominable catastrophe? Ma nièce de Florian qui a l'honneur de vous connaitre, et dont les terres sont auprès d'Abbeville, est bien instruitte de toutes ces horreurs. Elles font dresser les cheveux à la tête. Savez vous encor, Madame, que feu Mr Le Dauphin, qu'on ne peut assez regreter, lisait Loke dans sa dernière maladie? J'ai apris avec bien de l'étonnement qu'il savait toute la Tragédie de Mahomet par cœur. Si ce siècle n'est pas celui des grands talents, il est celui des esprits cultivés.

Je crois que Mr Le Pdt: H: a été aussi entousiasmé que moi de Mr le prince de Brunswick. Il y a un roi de Pologne philosophe qui se fait une grande réputation. Et que dirons nous de mon Impératrice de Russie?

Je m'aperçois que ma Lettre est un éloge de têtes couronnées, mais en vérité ce n'est pas par fadeur, car j'aime encor mieux leurs valets de chambre. Il m'est venu un premier valet de chambre du Roi, nommé Mr De La Borde, qui fait de la musique, et à qui mr Le Dauphin avait conseillé de mettre en musique l'opéra de Pandore. C'est de tous les opéra, sans éxception, le plus susceptible d'un grand fracas. Faittes vous en lire les paroles qui sont dans mes œuvres, et vous verrez s'il n'y a pas là bien du tapage. Je croiais que Mr De La Borde faisait de la musique comme un premier valet de chambre doit en faire, de la petite musique de cour et de ruelle. Je l'ai faitte éxécuter, j'ai entendu des choses dignes de Rameau. Ma nièce Denis en est tout aussi étonnée que moi, et son jugement est bien plus important que le mien, car elle est excellente musicienne.

Vous en ai-je assez conté, Madame, vous ai-je assez ennuiée? suis je assez bavard? Souffrez que je finisse en vous disant que je vous aimerai jusqu'au dernier moment de ma vie de tout mon cœur, avec le plus sincère respect.