(1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

L'Ennuy me prend monsieur, de ne plus Entendre parler de vous; vous me croyez peutêtre morte?
Je ne le suis pas encore; il est vray qu'il ne s'en faut de guères, mais Je suis cependant assés encore en vie pour avoir plus besoin de vos lettres que de prières. Comment vous portez vous? que faites vous? que pensez vous? Il a courû ici le bruit que vous vouliez aller à Wezel, cela est il vray?

Que dites vous du procès de Jean Jacques et de mr Hûme? Avez vous lû la lettre de 18 pages de celui Là à celui Cy. Existe t'il dans le monde un aussy triste fou que ce J. Jacques? C'est bien la peine d'avoir de l'esprit et des talens pour en faire un pareil usage. C'est une plaisante ambition que de vouloir se rendre célèbre par les malheurs; il n'aura bientôt plus d'azile qu'aux petittes maisons. Ses protectrices sont bien embarrassées. Pour vous monsieur vous êtes mon sage, et Je voudrois bien que vous fussiez mon ami. Vous ne l'êtes point puisque vous n'avez point soin de moi.

J'ay lû en dernier lieu le philosophe ignorant; on dit qu'il y a encore quelque chose de nouveau, mais dont Je ne sçay pas le titre; Je voudrois avoir tout cela. Je ne sçay plus que lire. Voilà pour la quatrième fois que je fais la tentative de lire mr de Buffon, et Je ne puis pas tenir à l'ennuy que cela me cause. Enfin sans le Journal Enciclopédique Je ne sçaurois que devenir. N'en faites vous pas assez de cas? C'est en fait de lecture ce qu'est la dissipation dans la vie; cela ne vaut pas l'occupation ni la société, mais cela y suplée.

Ecrivez moi, réveillez moi, aimez moi, ou faites en le semblant, moi Je vous aime tout de bon, et Je ne veux plus être si long tems sans vous le dire.