(1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Vos lettres, et surtout la dernière, me font faire une réflexion; vous croyez donc qu'il y a des vérités que vous ne connoissez pas et qu'il est important de connoitre; vous pensez donc qu'il ne sufit pas de sçavoir ce qui n'est pas, puisque vous cherchez à sçavoir ce qui est.
Vous pensez apparament que cela est possible. Pensez donc que cela soit nécessaire? Voilà ce que Je vous suplie de me dire; Je me suis figurée jusqu'à présent que nos connoissances étoient bornées aux pouvoirs, aux facultés et à l'étendüe de nos sens; Je sçay que nos sens sont sujets à l'illusion, mais quel autre guide peut on avoir? Dites moi très clairement quel penchant ou quel motif vous entrainent aux recherches qui vous occupent. Est ce la simple curiosité? et comment ce seul sentiment peut il vous garantir de tous les objets qui vous environnent? Quelque puériles qu'ils soyent par eux mêmes, il est naturel que nous en soyons plus affectés que d'idées vagues qui sont pour nous le cahos ou même le néant. Pour moi monsieur Je l'advoüe, je n'ay qu'une pensée fixe, qu'un sentiment, qu'un chagrin, qu'un malheur, c'est la douleur d'être née; il n'i a point de rôle qu'on puisse joüer sur le théâtre du monde, auxquels Je ne préférasse le néant; et ce qui vous paroitra bien inconséquend, c'est que quand J'aurois la dernière Evidence d'y devoir rentrer je n'en aurois pas moins d'horreur pour la mort; expliquez moi à moi même, Eclairez moi, faites moi part des vérités que vous découvrirez, enseignez moi le moyen de supporter la vie, ou d'en voir la fin sans répugnancehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140117_1key001cor/nts/001; vous avez toujours des idées claires et Justes, il n'i a que vous avec qui Je voudrois raisonner, mais malgré l'opinion que J'ay de vos lumières je seray fort trompé si vous pouvez satisfaire aux choses que je vous demande.

Votre petit imprimé m'a fait plaisir, J'admire votre gaité, vous n'en auriez pas tant si vous étiez dans ce paÿs cy. On dit que Jean Jacque ne fait pas un grand Effet en Angleterre, on y est un peu plus occuppé de l'affaire des colonies, que de lui, de ses ouvrages, de sa servante, et de son habit d'Arménien.

Le président vous fait mille tendres complimens et moi monsieur je vous dis avec la plus grande vérité que je vous aime tendrement.