(1766) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1766) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il y a un mois, Madame, que j'ai envie de vous écrire tous les jours, mais je me suis plongé dans la métaphisique la plus triste et la plus épineuse, et j'ai vu que je n'étais pas digne de vous écrire.
Vous me mandâtes par vôtre dernière Lettre que nous étions assez d'accord tout deux sur ce qui n'est pas; je me suis mis à rechercher ce qui est. C'est une terrible besogne, mais la curiosité est la maladie de l'esprit humain. J'ai du moins la consolation de voir que tous les fabricateurs de sistèmes n'en savent pas plus que moi, mais ils font tous les importants, et je ne veux pas l'être. J'avoue franchement mon ignorance.

Je trouve d'ailleurs dans cette recherche, quelque vaine qu'elle puisse être, un assez grand avantage; l'étude des choses qui sont si fort au dessus de nous rendent les intérêts de ce monde bien petits à nos yeux, et quand on a le plaisir de se perdre dans l'immensité, on ne se soucie guères de ce qui se passe dans les rues de Paris. L'étude a celà de bon qu'elle nous fait vivre très doucement avec nous mêmes, qu'elle nous délivre du fardeau de nôtre oisiveté, et qu'elle nous empêche de courir hors de chez nous pour aller dire et écouter des riens d'un bout d'une ville à l'autre. Ainsi, au milieu de quatre vingt lieues de montagnes de neiges assiégé par un très rude hiver, et mes yeux me refusant le service, j'ai passé tout mon temps à méditer. Ne méditez vous pas aussi? Madame, ne vous vient-il pas quelquefois cent idées sur l'éternité du monde, sur la matière, sur la pensée, sur l'espace, sur l'infini? je suis tenté de croire qu'on pense à tout celà quand on n'a plus de passions, et que tout le monde est comme Matthieu Garo qui recherche pourquoi les citrouilles ne viennent pas au haut des chêneshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140104_1key001cor/nts/001.

Si vous ne passez pas tout vôtre temps à méditer quand vous êtes seule, je vous envoie un petit impriméhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140104_1key001cor/nts/002 sur quelques sottises de ce monde, lequel m'est tombé entre les mains. Je ne sais s'il vous amusera beaucoup; celà ne regarde que Jean Jaques Rousseau, et des polissons de prêtres calvinistes. L'auteur est un goguenard de Neufchatel, et les plaisants de Neufchatel pouront fort bien vous paraître insipides. D'ailleurs, on ne rit point du ridicule des gens qu'on ne connait pas. Voilà pourquoi Mr De Mazarin disait qu'il ne se moquait jamais que de ses parents et de ses amis. Heureusement ce que je vous envoie n'est pas long; et s'il vous ennuie vous pourez le jetter dans le feu.

Je vous souhaitte, Madame, une vie longue, un bon estomach, et toutes les consolations qui peuvent rendre vôtre état supportable; j'en suis toujours pénétré.

Je vous prie de dire à Mr le Président Hainaut que je ne cesserai jamais de l'estimer de tout mon esprit et de l'aimer de tout mon cœur. Permettez moi les mêmes sentiments pour vous, qui ne finiront qu'avec ma vie.

V.

Dans le temps que ma Lettre allait partir, je reçois la vôtre du 13 fév: Soiez sûre que je vous écrirai toutes les fois qu'il me viendra des idées qui me paraîtront faittes pour vôtre belle imagination et pour la justesse de vôtre esprit, c'est à dire que je vous donnerai ces idées à rectifier, car autrement je ne serais pas si hardi. Je vs plains beaucoup d'avoir perdu mr Craffurt, je sens bien qu'il était digne de vous entendre, on ne regrête que les gens à qui l'on plait, excepté en amour s'entend.