(1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je n'i comprend rien; m'a t'on fait de nouvelles tracasseries?
D'où vient est ce que Je n'entend plus parler de vous? pourquoy n'avez vous pas répondû à ma dernière lettrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140097_1key001cor/nts/001? Depuis trois semaines J'attend votre réponsehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140097_1key001cor/nts/002. Notre corespondance qui s'étoit ranimée étoit devenû pour moi un spécifique contre l'ennuy, et voilà que vous me refusez ce secour; cela n'est pas bien, monsieur; vous connoissez si parfaitement tout les plis et replis de l'âme, tout ce qui l'afflige, tout ce qui la console, vous avez si bien démêlé combien la mienne est sensible à l'amitié qu'il est mal à vous de ne m'en pas accorder du moins quelque apparence. Votre dernière lettrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140097_1key001cor/nts/003 m'avoit fait un plaisir extrême, elle m'avoit fait espérer une correspondance qui seroit pour moi une occupation qui Ecarteroit l'ennuy et vous sçavez que J'ay besoin de préservatif contre cette maladie de l'âme. Vous m'oubliez, vous m'abandonnez justement dans un moment où J'ay le plus besoin de votre secours: J'ay perdû mr Craufurt, il est depuis quelques Jours retourné en Angleterre. Je me suis prise d'une grande amitié pour lui, Je me suis trouvé avec lui tant de conformité dans la façon de penser, de sentir et de Juger que cela a tenû lieu de l'habitude. Si vous sçaviez ce qu'est devenû ce paÿs cy vous me plaindriez, je n'ay plus de ressource que vos ouvrages; Je me suis mis depuis quelques; Jours à vous relire et à vous apprendre par cœur. J'ay appris 58 vers de votre religion naturelle, Je ne puis vous dire à quel point ils me charment; devinez quels ils sont, il y en a 34 du 1er chant, 16 du 3ème, 8 du dernier.

Vous avez un stile enchanteur. Je disois l'autre jour que Je ne serois nullement fâchée si l'on me condamnoit à ne lire qu'un seul auteur pourvû que l'on m'en laissât le choix et J'ajoutay que c'étoit comme si j'avois reçû cette condamnation parcequ'en effet je ne pouvoit plus lire que vous. Je voudrois sçavoir si l'on oseroit m'accuser d'Engoument sur ce que Je pense de vous. Oh, oui, il y a des gens assés absurde pour cela. Je fais quelquefois réflexion à tout ce qui vous est arrivé depuis que vous êtes au monde, à la fatalité qui vous a conduit où vous êtes; Je trouve que votre vieillesse est une manière d'apothéose; vous êtes déifié de votre vivant, Ferney est un temple où l'on vient des bouts de l'univers vous rendre hommage; mais toute cette gloire ne sufiroit pas pour vous rendre heureux si vous éprouviez quelque diminution dans vos talents; c'est la fécondité de votre imagination, l'étonnante facilité de rendre avec clarté et précision tout ce que vous pensez qui doit vous rendre parfaitement heureux; employez cette facilité je vous conjure à m'écrire souvent et longuement. Imaginez vous que je suis morte et sans batême, que J'habite les limbes, et qu'elles sont plus ennuyeuses pour moi que pour tous mes camarades qui ne regrettent que leur nourisses. Enfin monsieur, ayez pitié de moi et ne, me laissez pas périr d'Ennuy.