(1766) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1766) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je me jette â vos genoux, Madame; je vois par vôtre Lettre du 6e http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140055b_1key001cor/nts/001 janvier, qui ne m'est parvenue pourtant que le 18, que je vous avais allarmée.
Compté que je serais désespéré de vous causer la plus légêre affliction. Vous sentez bien que dans la situation où je suis je ne dois donner aucune prise â la calomnie, vous savez qu'elle saisit les choses les plus innocentes pour les empoisonner. Il y a des gens qui m'envient ma retraitte au milieu des rochers, qui n'auraient pitié ni de ma vieillesse, ni des maux qui l'accablent, et qui me persécuteraient au delà du tombeau; mais je suis pleinement rassuré par vôtre Lettre, et vous avez dû voir par ma dernièrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140055b_1key001cor/nts/002 avec quelle confiance je vous ouvre mon cœur; ce cœur est plein de vous, il est continuellement sensible à vôtre état comme à vôtre mérite; il aime vôtre imagination et vôtre candeur, il vous sera attaché tant qu'il battra dans mon faible corps.

Vous et vôtre ami vous pouvez avoir été convaincus par ma dernière Lettre combien je suis éloigné de quelques philosophes modernes qui osent nier une intelligence suprême productrice de tous les mondes. Je ne puis concevoir comment de si habiles matématiciens nient un matématicien éternel. Ce n'était pas ainsi que pensaient Neuton et Platon. Je me suis toujours rangé du parti de ces grands hommes. Ils adoraient un Dieu, et ils détestaient la superstition; je n'ai rien de commun avec les philosophes modernes que cette horreur pour le fanatisme intolérant, horreur bien raisonnable et qu'il est utile d'inspirer au genre humain, pour la sûreté des princes, pour la tranquillité des états, et pour le bonheur des particuliers.

Voilà ce qui m'a lié avec des personneshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140055b_1key001cor/nts/003 de mérite qui peut être ont trop d'infléxibilité dans l'esprit, qui se plient peu aux usages du monde, qui aiment mieux instruire que plaire, qui veulent se faire écouter, et qui dédaignent d'écouter, mais ils rachêtent ces défauts par de grandes connaissances et par de grandes vertus. J'ai d'ailleurs des raisons particulières d'être attaché à quelques uns d'entr'eux, et une ancienne amitié est toujours respectable. Mais soyez bien persuadée que de toutes les amitiés la vôtre m'est la plus chère. Je n'envisage point sans une extrême amertume, la nécessité de mourir sans m'être entretenu quelques jours avec vous, c'eût été ma plus chère consolation. Vos Lettres y suppléent, je crois vous entendre quand je vous lis. Jamais personne n'a eu l'esprit plus vrai que vous; vôtre âme se peint tout entière dans tout ce qui vous passe par la tête; c'est la nature elle même avec un esprit supérieur, point d'art, point de tour, point d'envie de se faire valoir, nul artifice, nul déguisement, nulle contrainte. Tout ce qui n'est pas dans ce caractère me glace et me révolte. Je vous aime, Madame, parce que j'aime le vrai; en mot, je suis au désespoir de ne point passer quelques jours avec vous avant de rendre ma chétive machine aux quatre éléments.

Vous ne m'avez point mandé si vous digérez; tout le reste en vérité est bien peu de chose.

Faittes vous lire, madame, le rogaton que je vous envoie; et ne le donnez à personne, car quelque bon serviteur que je sois de Henri 4, je ne veux pas me brouiller avec ste Geneviève.