(1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je n'ay ni votre Erudition ni vos lumières, mais mes opinions n'en sont pas moins conformes aux vôtres.
A la vérité il ne me paroit pas de la dernière importance que tout le monde pense de même; il seroit fort avantageux que tout ceux qui gouvernent, depuis les rois jusqu'au dernier bailly de village, n'eussent pour principe et pour sistème que la plus saine morale. Elle seule peut rendre les hommes heureux et tollérans, mais le peuple connoit il la morale? J'entend par le peuple le plus grand nombre des hommes. La cour en est pleine, ainsy que la ville et les champs. Si vous ôtez à ces sortes de gens leur préjugés, que leur restera t'il? C'est leur ressource dans leurs malheurs (et c'est en quoy je voudrois leurs ressembler), c'est leur bride et leur frein dans leur conduite, et c'est ce qui doit faire désirer qu'on ne les Eclaire pas; et puis pourroit on les Eclairer? Toute personne, qui parvenûe à l'âge de raison, n'est pas choquée des absurdités et n'entrevois pas la vérité, ne se laissera Jamais instruire ni persuader. Qu'est ce que la foi? C'est de croire fermement ce que l'on ne comprend pas. Il faut laisser ce don du ciel à qui il l'a accordé. Voilà en gros ce que Je pense; si Je causois avec vous Je me flate que vous ne penseriez pas que je préférasse les charlatans aux bons médecins; Je seray toujours ravie de recevoir de vous des instructions et des recettes, donnez m'en contre l'ennuy, voilà de quoy J'ay besoin. La recherche de la vérité est pour vous la médecine universelle, elle l'est pour moi aussi, non dans le même sens qu'elle l'est pour vous, vous croyez l'avoir trouvée, et moi Je crois qu'elle est introuvable. Vous voulez faire entendre que vous êtes persuadé de certaines opinions que l'on avoit avant Moïse, et que lui n'avoit point, ou du moins qu'il n'a pas transmis. De ce que ces peuples ont eu cette opinion la rend t'elle plus claire et plus vraisemblable? Qu'importe qu'elle soit vraye? si elle l'étoit seroit ce une consolation? J'en doute fort. Ce n'en seroit pas une du moins pour ceux qui croyent qu'il n'i a qu'un malheur, celui d'être né. M. L'abbé Bazin est un habile homme, je l'honore, Je le révère, mais il se donne trop de peines et de soins; il ne sçait pas le conte de la Coutûre qui n'aimoit pas les sermons. Laissons tous les hommes suivre leur sens commun, il est pour chacun d'Eux leur loix et leur prophète.

A L'égard de vos philosophes modernes, jamais il n'i a eû d'hommes moins philosophes et moins tolérans, ils Ecraseroient tout ceux qui ne se prosternent pas devant Eux. J'ay â mes dépens appris à les connoitre; que Je sois je vous prie à tout jamais à l'abri de leur tracasserie auprès de vous.

Votre correspondance m'honore infiniment, mais je n'ay pas la vanité d'en faire trophée; ils n'ont nulle connoissance de ce que vous m'écrivez; La lettre sur Montcrif n'est devenüe publique que par Eux, d'ont l'unhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140040_1key001cor/nts/001 d'eux l'avoit retenüe pour l'avoir entendû lire une seule fois. Cette conduite, qui prouve la sévérité de leur morale, m'a appris à les connaitre et à ne m'y Jamais confier.

Le président a été fort content de votre lettre mais il voit par ses lunettes, il ne veut point en changer. Je suis bien sûre qu'il fait cas des vôtres, il s'en servoit autrefois. Sa vüe n'est pas baissée, mais enfin il veut s'en tenir aux lunettes qu'il a pris aujourd'huy; il vous estime, il vous honore, il vous aime, nous sommes parfaitement d'accord dans cette façon de penser et de sentir, nous voudrions bien souvent vous avoir en tier avec nous, un quart d'heure de conversation avec vous nous paroitroit d'une bien plus grande valeur que toute l'Enciclopédie.

Adieu monsieur, soyez persuadé de ma tendre amitié, elle est plus tendre et plus sincère que celle de vos académiciens et de vos philosophes.