(1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Jamais Je n'ay révé d'oiseaux qu'il ne me soit arrivé quelque tracasserie.
J'ay rêvé cette nuit de perroquets et à mon réveil J'ay reçû votre lettre du 1er Janvier, elle a troublé ma pauvre tête.

Je vous proteste que Je n'ay donnée de copie de vos lettres à personne, et que depuis celle qui vous a fait une tracasserie avec Montcrif Je n'en ay lüe aucune qu'à quatre ou cinq personnes, le président, Pontdeveyle, et mes Anglois.

Je ne donnay point de copie de celle ou vous plaisantiez sur Montcrif, mais on la lû devant un certain mr Turgot qui retient tout ce qu'il entend lire, et Je fus confondüe quelques Jours après d'apprendre qu'il en couroit des copies. Je viens de me faire relire vos trois dernières lettres; La plus ancienne est du vois d'octobre. Il n'y a pas un mot dans toutes les trois qui Eussent pu vous faire des tracasseries avec qui que ce soit quand Je les aurois rendües publiques, mais Je vous proteste avec la plus grande vérité qu'elle n'a pas vû le Jour.

Je suis très convaincû qu'on seroit ravi de me brouiller avec vous et que messrs les philosophes modernes ne me veulent pas de bien, ils seroient ravis de me faire perdre votre correspondance et votre amitié. J'espère qu'ils n'y réussirons pas, qu'ils se contentent de la gloire qu'ils s'imaginent qui les environnent. Je n'ay point l'honneur de leur ressembler; Je leur laisse toute leur célébrité et je serois bien fâchée d'y participer. Ne croyez donc Jamais rien de ce qu'ils pourront vous dire contre moi, et si vous voulez pour votre plus grande sûreté que Je vous renvoye vos cinq ou six dernières lettres, vous en êtes le maitre; vous verrez par vous même qu'il n'y a pas un mot qui puisse blesser personne, et que quand J'aurois Eû intention de vous nuire elles n'auroient pas pû servir à ce dessein; Je n'ay point la sotte gloriole de tirer vanité des attentions qu'on a pour moi, et Je ne suis pas assez malhonnête personne pour abuser de la confiance. Faites donc taire votre livrée et que Je ne sois plus Exposée à son insolence. Mandez moi le plutôt que vous pourrez que vous êtes persuadé de tout ce que ce vous dis, et qu'il n'est au pouvoir de personne de nous mettre mal ensemble.

Je ne puis vous parler d'autres choses aujourd'huy. Je n'auray de plaisir à vous Ecrire que quand J'auroy reçüe de vous une lettre qui détruise le chagrin que me fait celle que Je viens de recevoir.