(1765) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1765) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

La lettrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130476_1key001cor/nts/001 que Je vous envoy m'a bien étonnée, j'imagine qu'elle vous fera le même Effet.
Le stile, la Justesse, le goût, tout cela fait il deviner un octogénaire? un homme de 30 ans Ecriroit il avec plus de force, d'Elégance et de délicatesse? La première partie surtout m'a charmée, la dernière sent un peu plus l'âge mûr, j'en conviens, mais, monsieur de Voltaire, amant déclaré de la vérité, dites moi de bonne foy l'avez vous trouvé? vous combattez et détruisez toutes les erreurs, mais que mettez vous à leur place? Existe t'il quelque chose de réel, tout n'est il pas illusion? Fontenelle a dit, il est des hochets pour tout âge; il me semble que J'ay sur tout cela les plus belles pensées du monde, mais Je deviendrois ridicule à montrer au doigt si je faisois la philosophe avec vous, il vous seroit trop aisé de me confondre et de m'ôter toute réplique. Je me souviens que dans ma Jeunesse étant au couvent mad. Deluynes m'envoya le père Massillon, mon génie trembla devant le sienhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130476_1key001cor/nts/002; ce ne fût pas à la force de ses raisons que Je me soumis, mais à l'importance du raisonneur. Tout discour sur certaine matière me paroissent inutiles, le peuple ne les entend point, la Jeunesse ne s'en soucie guères, les gens d'esprits n'en ont pas besoin, et peut on se souçier d'Eclairer les sots: que chacun pense et vive à sa guise, et laissons chacun voir par ses lunettes; ne nous flatons jamais d'établir la tolérance, les persécutés la prêcherons toujours, et s'ils cessoient de l'être ils ne l'exerceroient pas; quelque opinions qu'ayent les hommes ils y veulent soumettre tout le monde.

Tout ce que Vous Ecrivez a un charme qui séduit et entraine, mais je regrete toujours de vous voir occuppé de certains sujets que Je voudrois qu'on respectât assés pour n'en jamais parler, et même pour n'i Jamais penser.

http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130476_1key001cor/txt/001Je suis très reconnoissante de vos présents, mais vous ne m'envoyez point la lettre sur melle Lenclos, je m'attendois de la trouver, ainsy qu'une pucelle; J'en pourrois trouver ici, mais il y auroit peut être de l'artifice, et elle ne seroient pas telles qu'elles sont venus au monde. Quand vous trouverez l'occasion de me faire de nouveaux présens profitez en je vous suplie. Sans flaterie, sans exagération je suis la personne du monde qui vous aime le plus et qui suis la plus enchantée de vos talents.

Mr Crawfurt est encor ici. Je lui ay fait voir votre lettre, et comme il verra ma réponse, je n'ose vous dire tout ce que Je pense de lui; Jugez en par les preuves que J'ay de la préférence qu'il vous donne sur tout ce qu'il a Jamais vû, entendû et connû; c'est ainsy que moi votre plus grand admirateur; il a un fond de mélancolie qui me donne encor avec lui de grands rapports; ce sera pour moi une véritable perte quand il retournera dans son paÿs; vous seriez étonné si vous voyez ce qu'est devenû le nôtre, J'en suis honteuse vis àvis des étrangers; ce n'est plus une chose flateuse pour vous aujourd'huy qu'il n'i ait plus que vous que l'on puisse Citer dans notre nation.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130476_1key001cor/txt/001

Sçavez vous que Jean Jacques est ici? Mr Hûme lui a ménagé un établissement en Angleterre, il doit l'y conduire ces jours cy. Plusieurs personnes s'empressent à lui rendre des soins et à l'honorer, dans l'espérance de participer un peu à sa célébrité. Pour moi qui n'ait point d'ambition je me borne à avoir quelques uns de ses livres sur mes tablettes, dont il y a une partie que Je n'ay point lüe et une autre que Je ne reliray jamais. Je voushttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130476_1key001cor/txt/002 envoie une plaisanteriehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130476_1key001cor/nts/003 d'un de mes amis, je vous le nommerai, s'il y consent, je lui en demanderai la permission avant que de fermer cette lettre.

Adieu, monsieur; votre amitié, votre correspondance est ce qui m'attache le plus à la vie, c'est le seul plaisir qui me reste.