(1765) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1765) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Mr de Florian a pris la peine de m'apporter lui même le paquet dont vous l'aviez chargé.
Je ne puis exprimer le plaisir que J'ay eû; mais comme il Est écrit que Je ne sçaurois avoir de Joye parfaitte, il se trouve qu'il manque à la lettre sur mlle Lenclos depuis la page 12 jusqu'à la page 61 inclusivement; voyez quel malheur. Si vous ne réparez pas cet accident je seray au désespoir. J'ay fait cent mille questions à mr de Florian mais j'en ay beaucoup encor à lui faire. J'ay obtenu de lui et de mad. votre nièce qu'ils souperont jeudy chés moy. J'ay déjà l'honneur de connoitre un peu mad. de Florian, J'entreray dans les plus grands détails avec elle, je veux savoir tout ce que vous faites, c'est être en quelque sort avec ses amis que de pouvoir les suivre en idé. Je ne sort point d'étonnement de tout ce que Je sçay de vous, vous renversez toutes mes opinions sur la philosophie. J'avois crus jusqu'à présent qu'elle consistoit à détruire toutes les passions. Vous me faites penser aujourd'huy qu'il faut les avoir toutes et qu'il ne s'agit que de bien choisir leurs objets. Vous êtes un être bien singulier et telle qu'il n'y en a Jamais eû de semblables; Je me rappelle le tems de notre première connoissance, dont il y a en vérité près de 50 ans; tout ce que vous avez fait, tout ce que vous avez vû, tout ce qui vous est arrivé feroit une vie assez remplie pour deux ou trois cens hommes. http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130362_1key001cor/txt/002Il semble aujourd'huy que vous n'ayez travaillé, que vous ne vous soyez occuppé que du soin de rendre votre viéllesse célèbre (et ce qui vaut encor mieux) infiniment heureuse. Vous êtes placé au milieu de L'univers, vous en êtes le centre et L'idole, tout accourre auprès de vous, on diroit aussi que vous êtes entre le tems et l'éternité, vous Jouissés de la réputation présente et de celle de la postérité. Je le répète, vous êtes un être bien singulier. Il y a de la vanité à dire qu'on vous aime, il y en a à désirer d'être aimé de vous, cependant je crois que mes sentimens sont Exempt de tout alliage, et quand il n'i auroit que moi qui vous connoitroit tel que vous êtes, Je ne vous en aimeroit pas moins. Peut être trouverez vous que Je vous donne de l'encensoir autravers du visage, ce n'est pas ma faute, tous mes sens sont perdus ou Engourdis. Je n'ay plus d'âme, je ne sçay plus m'exprimer. Mais ne parlons plus de moi, je suis ce que Je hais le plus dans le monde.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130362_1key001cor/txt/002

Vous me priez de ne point attaquer votre livrée. Je serois bien fâché d'avoir rien à démêler avec elle, elle a tout les attribus de celle des grands seigneurs, elle me fait souvent souvenir d'une chanson que Mad. La D. du Maine avoit fait sur un intendant de mr Le D. du Maine, qui dans ses audiences affectoit toutes les manières de son maitre. Cette chanson finissoit ainsy:

Chacun dit connoissant Brion, la faridondaine &c.
Voilà Monseigneur travesty biribi &c.

J'étois bien persuadé que vous seriez content du cher de Magdonald, il m'écrithttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130362_1key001cor/nts/001 qu'il est Emerveillé de vous. Vous ne me dites rien de Mr de Craufurt? est-ce que vous ne lui trouvez pas bien de l'esprit? Il a une santé déplorable qui m'inquiète, je l'aime beaucoup, et c'est un de vos plus grands admirateurs; J'ay été fort aise de ce que vous m'avez écrit sur le président, il y a été extrêmement sensible; sa santé est très bonne; il voit pour moi, J'entend pour lui, et nous trainons notre misérable Viéllesse, tandis que la vôtre paroit vous soutenir.

Adieu monsieur, réparez la faute que votre secrétaire a faite et envoyez moi le plutôt qu'il sera possible ce qui manque à la lettre sur melle Lenclos, depuis la page 12 jusqu'à la page 61.

Soyez persuadé que Je ne laisseray prendre aucune copie de vos lettres, mon secrétaire est de la plus exacte fidélité.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130362_1key001cor/nts/002

Ecrivez moi le plus souvent que vous pourrez. Je voudrois devoir vos soins à votre amitié, mais que je les doive dumoins à vos vertus.

http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130362_1key001cor/txt/003 Madame La Duchesse de Boufflers a eü en Effet la petite Vérole; mais elle ne l'avoit point eûe par l'innoculation; je suis de vôtre avis, quant il y auroit un, ou plusieurs Exemples que l'innoculation ne guarentit pas de la petite Vérole, ces exemples par leurs raretés ne doivent pas détourner de cette pratique; on pourroit pariez mille contre un, sur chaque individûs en particulier, qu'il n'aura pas deux fois la petite Vérole; mais ne seroit il pas bien téméraire de soutenir qu'il est impossible d'avoir deux fois cette maladie; et quant il n'y auroit point d'exemple que cela fût jamais arrivé, seroit ce une raison suffisante pour assurer qu'il est impossible que cela n'arrive?

Je dis hier à Madame La M. de Luxembourg ce que vous m'Ecriviés sur elle. Je luy crois quelques rancune contre Vous, à cause de son J. Jacques avec qui cependant je n'imagine pas qu'elle ayt grande Correspondance; mais elle luy a accordée sa protection. Elle ne veut pas apparemment se démentir.

Nous sommes icy dans de grandes allarmes sur mr. Le Dauphin, elles ne sont que trop bien fondées.

Je n'ay point pûe parvenir à avoir La philosophie de L'histoire; sy vous pouvés me la faire trouver vous me ferez plaisir, ainsy que toute les petites brochures qui viendront à votre connoissance.