(1764) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1764) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il y a huit jours que je suis dans mon lit, Madame.
J'ai envoié chercher à Genêve le livre que vous voulez avoir, et qui n'est qu'un recueil de plusieurs pièces, dont quelques unes étaient déjà connues. L'auteur est un nommé Desbutteshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1120142_1key001cor/nts/001, petit apprentifhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1120142_1key001cor/nts/002 prêtre huguenot. Je n'ai pu en trouver à Genêve; j'ai écrit à Made De Jaucour. Cet ouvrage est regardé par les dévots comme un livre très audacieux et très dangereux. Il ne m'a pas paru tout à fait si méchant, mais vous savez que j'ai beaucoup d'indulgence. Je n'ai pas moins d'indignation de voir qu'on m'impute ce petit livre farci de citations des pères du second et du troisième siècle. Il y est question du Targum des juifs; la calomnie me prend donc pour un Rabin; mais la calomnie est absurde de son naturel, et toute absurde qu'elle est elle fait souvent beaucoup de mal; elle m'a attribué ce livre auprès du Roy, et celà trouble ma vieillesse qui devait être tranquile. La nature nous fait déjà assez de mal sans que les hommes nous en fassent encor. Cette vie est un combat perpétuel, et la philosophie est le seul emplâtre qu'on puisse mettre sur les blessures qu'on reçoit de tous côtés; elle ne guérit pas, mais elle console, et c'est beaucoup. Il y a encorun autre secrêt, c'est de lire les gazettes. Quand on voit, par éxemple, que le Prince Ivan a été Empereur à l'âge d'un an, qu'il a été vingtquatre ans en prison, et qu'au bout de ce temps là il est mort de huit coups de poignard, la philosophie trouve là de bonnes réfléxions à faire, et elle nous dit alors, que nous devons être heureux de tous les maux qui ne nous arrivent pas, comme la maitresse de l'avare est riche de tout ce qu'elle ne dépense pointhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1120142_1key001cor/nts/003. Je cherche encor un autre secrêt, c'est celui de digérer. Vous voiez, Madame, que je me bats les flancs pour trouver la façon d'être le moins malheureux qu'il me soit possible; car pour le mot d'heureux, il ne parait guères fait que pour les romans. Je souhaitterais passionément que ce mot vous convint.

Il y a peut être un état assez agréable dans le monde, c'est celui d'imbécile, mais il n'y a pas moien de vous proposer cette manière; vous êtes trop éloignée de cette espèce de félicité. C'est une chose assez plaisante qu'aucune personne d'esprit ne voudrait d'un bonheur fondé sur la sottise. Il est clair pourtant qu'on ferait un très bon marché. Faittes donc comme vous pourez, Madame, avec vos lumières, avec vôtre belle imagination, avec vôtre bon goût, et quand vous n'aurez rien à faire mandez moi si tout celà contribue à vous faire mieux supporter le fardeau de la vie.

Agréez mes très tendres respects.

V.