Eh bien oui madame il serait tout aussi bon pour le moins de n'être pas né▶. L'évangile ne l'a dit que de Judashttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1120118_1key001cor/nts/001; mais l'eclesiaste le dit de tous les hommeshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1120118_1key001cor/nts/002.
Et si Salomon a fait l'ecclesiaste, vous êtes de l'avis du plus sage et du plus voluptueux de tous les rois. Remarquons seulement que Salomon ne parlait ainsi que quand il digérait mal. L'abbé de Chaulieu qui valait bien Salomon, a dit
Je suis donc volontiers de votre avis quand je soufre, et nous n'aurons plus de querelle sur cet article. Je croirai avec vous qu'il eût baucoup mieux valu au prince Ivan de n'être pas ◀né▶, que d'être empereur au berceau pour vivre vingt quatre ans dans un cachot et pour y mourir de huit coups de poignard.
Je serais homme à souhaiter de n'être point ◀né si on m'accusait d'avoir fait le dictionaire philos. car quoyque cet ouvrage me paraisse aussi vrai que hardi, quoy qu'il respire la morale la plus pure, les hommes sont si sots et si méchants, les dévots sont si fanatiques que je serais sûrement persécuté. Cet ouvrage que je crois très utile ne sera jamais de moy. Je n'en ay envoyé à personne. J'ay même de la peine à en faire venir quelques exemplaires pour moy même. Dès que j'en aurai, je vous en ferai parvenir. Mais par quelle voye? Je n'en sçais rien. Tous les gros paquets sont saisis à la poste, les ministres n'aiment pas qu'on envoie sous leur nom des choses dont on peut leur faire des reproches. Il faut attendre l'occasion de quelque voiageur.
Je suis indigné qu'un homme qui avait le sens comun, ait passé les cinq dernière heures de sa vie avec un prêtre. Deux minutes suffisaient. S'il faut payer chez vous ce tribut à l'usage on doit acquiter cette dette le plus vite qu'il est possible. Je vous prie de dire à M. le pd Hénaut combien je regrette son ami. Mais si nous avions eu le malheur de perdre mr Henaut aurait il fallu écrire à mr Dargenson? Je n'ay point écrit à son fils parce que son fils ne m'écrirait pas sur la mort de mon père. Savez vous madame qu'il m'en coûte infiniment d'écrire? Je vois à peine mon papier; et je suis très malade. Je vous écris parce que vous vous croiez malheureuse et que vous avez une âme forte à qui je dis quelquefois des véritez fortes, parceque vous m'avez dit quelquefois que mes lettres vous consolaient un moment, parce que j'aime à vous parler des malheurs de la vie humaine, des préjugez qui L'empoisonent et des horreurs ridicules dont on acompagne la mort. Soyons philosophes au moins dans nos derniers jours, ne les emploions pas à nous sacrifier aux vanitez du monde, à suivre des fantômes, à nous éviter nous mêmes, à nous prodiguer au dehors, à nous repaître de vent. Vivéz, philosophéz avec vos amis; qu'ils trompent le temps avec vous, qu'ils égaient avec vous le chagrin secret de la vieillesse, qu'ils vivent pour eux et pour vous.
Adieu madame, je vous aime de loin, et je vous aime encor plus de près.