Vous vous trouvez peut être fort bien de L'interuption de notre corespondance, mais ne m'en faites jamais l'aveu je vous prie, Je n'ay point de plus sensible plaisir que de recevoir de vos lettres, ni d'occupations plus agréables que d'y répondre; Je sçay bien que le marchez n'est point égal entre nous mais qu'est ce que cela fait, ce n'est point à vous à compter ric à ric.
http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1120031_1key001cor/txt/001Apres ce beau préambule je vous diray que ce qui a retardé ma réponse c'est que J'attendois celle de mad. de Luxembourg, je lui avoit donné les extraits de vos deux lettres; Je n'ay pas voulû me charger de vous rendre ses paroles, J'ay voulû qu'elle mit par écrit ce qu'elle pensoit, afin de n'y rien ajouter ni diminuer. Vous aurez de la peine à déchifrer son grifonnage.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1120031_1key001cor/txt/001
Je vous demande très humblement pardon, mais je vous trouve un peu injuste sur Corneille, Je conviens de tout les défauts que vous lui reprochez, excepté quand vous dites qu'il ne peint jamais la nature. Convenez du moins qu'il la peint suivant ce que L'Education, et les moeurs du paÿs peuvent L'embelir ou la défigurer, et qu'il n'i a point L'uniformité dans ses personnages qu'on trouve dans presque toutes les pièces de Racine. Corneilie est plus grande que nature, j'en conviens, mais telles Etoient les Romaines, et presque toutes les grandes actions des Romains étoit le résultat de sentiment et de raisonnement qui s'Eloignoient du vray; il n'i a peutêtre que L'amour qui soit une passion naturelle, et c'est presque la seule que Racine ait peinte et rendû, et presque toujours à la manière françoise. Son stil est enchanteur et continuement admirable; Corneille, n'a comme vous dites que des Eclairs, mais qui Enlèvent et qui font que malgré l'énormité de ses défaults, on a pour lui du respect et de la vénération. Il faut être bien téméraire pour oser vous dire si librement son avis, mais permettez moi de n'en pas rester là, et souffrez que je vous juge ainsy que ces deux grands hommes. Vous avez la variété de Corneille, L'excelençe du goût de Raçine, et un stil qui vous rend préférable à tout les deux; parcequ'il n'est ni empoulé ni sophistiqué, ni monotone, enfin vous êtes pour moi, ce qu'étoit pour L'abbé Pellegrin sa Pêlopéehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1120031_1key001cor/nts/001.
N'allez pas prendre tout cela pour de la flaterie, car c'est en vérité ma pensée. Mais abandonnons cette matière, et revenons à la philosophie. Dites moi ce qu'il faut faire, quand on n'a rien à faire, qu'on a L'âme et le cœur deséchés, qu'il reste en soy beaucoup d'activité et nul employ à en faire? Faut il se pendre ou mourir d'ennuy? Si vous avez quelque expédients donnez les moi. Vos lettres me font passer quelque moments agréables. Si vous y vouliez joindre tout les petits ouvrages que vous faites journellement, ce seroit un procédé charmant.
Adieu monsieur, soyez persuadé que personne n'est à vous aussi parfaitement que moi.