Non monsieur, Je ne préférerois pas la pensée à la lumière, les yeux de▶ L'âme à ceux du corps; Je consentirois bien plutôt à un aveuglement total.
Toutes mes observations me font Juger, que moins on pense, moins on réfléchit, plus on est heureux. Je le sçay même par expérience; quand on a eû une grande maladie, qu'on a soufert ◀de▶ grandes douleurs, l'état où l'on se trouve dans la convalescence est un état très heureux. On ne désire rien, on n'a nulle activité, Le repos seul est nécessaire. Je me suis trouvée dans cette situation, J'en sentois tout le prix, et j'aurois voulu y rester toute ma vie. Tous les raisonnemens que vous me faites sont excelents, il n'i a pas un mot qui ne soit ◀de▶ la plus grande vérité. Il faut se résigner à suivre notre destination dans l'ordre généralle, et songer, comme vous dites, que le rôle que nous y jouons ne dure que quelques minutes; si l'on n'avoit qu'à se défendre ◀de▶ la superstition pour se mettre audessus ◀de▶ tout, on seroit bien heureux, mais il faut vivre avec les hommes, on en veut être considéré, on désire ◀de▶ trouver en eux du bon sens, ◀de▶ la Justice, ◀de▶ la bienveillançe, ◀de▶ la franchise, et l'on ne trouve que tout les défault et les viçes contraires. Vous ne pouvez jamais connoitre le malheur, et comme je vous l'ay déjà dit, quand on a beaucoup ◀d'▶esprit et ◀de▶ talent on doit trouver en soy ◀de▶ grandes ressourçes; il faut être ◀Voltaire▶ ou végéter. Quel plaisir pourois-je trouver à mettre mes pensées par écrit? Elles ne servent qu'à me tourmenter, et cela satisferoit peu ma vanité; allez monsieur, croyez moi, je suis abandonnée ◀de▶ dieu et des médecins, mais cependant ne m'abandonnez pas. Vos lettres me font un plaisir infini; vous avez une âme sensible, vous ne dites point des choses vagues, le moment où Je reçois vos lettres, celui où J'y répond me consolent, m'occupent et même m'encouragent; si J'étois plus Jeune, je chercherois peutêtre à me rapprocher ◀de▶ vous; rien ne m'attache dans ce paÿs cy, et la société où je me trouve engagée, me feroit dire ce que mr de la Rochefoucault dit ◀de▶ la cour: elle ne rend pas heureux, mais elle empêche qu'on ne le soit ailleurs
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Je n'attribue pas mes peines et mes chagrins à tout ce qui m'environne. Je sçay que c'est presque toujours notre caractère qui contribue le plus à notre bonheur et à notre malheurs, mais comme vous sçavez nous l'avons reçû ◀de▶ la nature; que conclure ◀de▶ tout cela? C'est qu'il faut se soumettre. Il n'i auroit qu'un remède, ce seroit ◀d'▶avoir un ami à qui l'on pouroit dire:
Je n'en suis pas là, mais bien à dire sans cesse
Finissons monsieur cette triste élégie, qui est cent fois plus triste et plus ennuyeuse que celles ◀d'▶Ovide.
Vous voulez que je vous dise mon sentiment sur votre Corneille, c'est certainement vous moquer ◀de▶ moi. Si je vous voyois J'hazarderois peut être ◀de▶ vous obéïr, mais comment aurois-je la témérité ◀de▶ vous critiquer par écrit? Il faut que vous réitériez encor cet ordre pour que J'y puisse consentir. Je vous dirai seulement que vous êtes cause que Je relis toutes les pièçes ◀de▶ Corneille. Je n'en suis encor qu'à Héraclius; Je suis enchanté ◀de▶ la sublimité ◀de▶ son génie, et dans le plus grand étonnement qu'on puisse être en même temps si dépourvû ◀de▶ goût. Ce ne sont point les choses basses et familières qui me surprennent et qui me choquent, je les attribuent au peu de connoissance qu'il avoit du monde et ◀de▶ ses usages, mais c'est la manière dont il tourne et retourne la même pensée, qui est bien contraire au génie et qui est presque toujours la marque ◀d'▶un petit esprit.
Vous devriez bien m'envoyer toutes les choses que vous faites, je ne les ay jamais qu'après tout le monde.
Vous sçavez toutes nos nouvelles. La mort ◀de▶ Mr de Luxembourghttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110398_1key001cor/nts/003 m'a fort occuppée; mad. ◀de▶ Luxemb. est très affligée. Je serois bien aise ◀de▶ lui pouvoir montrer quelques lignes ◀de▶ vous, qui lui marquât L'intérêt que vous prenez à sa situation, et que vous partagez mes regrets. Persuadez vous que vous êtes destiné à me donner ◀de▶ la considération, à me marquer ◀de▶ L'amitié et à adoucir mes peines. Pour moi je sens monsieur que ◀de▶ toute Eternité je devois naitre pour vous révérer et pour vous aimer.
M. le Cal de Bernis a L'archevêché ◀d'▶Albyhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110398_1key001cor/nts/004. Le curé ◀de▶ St Sulpicehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110398_1key001cor/nts/005 a donné sa démission, moyennant quinze mille livre ◀de rente, c'est un mr Noguet, son vicaire, qui le remplace.