Je suis ravie monsieur que l'honneur vous déplaise, il y a longtems qu'il me choque, il refroidit, il nuit à la familiarité et ôte l'air de vérité.
Je proposai il y a quelque tems à une personne de mes amies de le bannir de notre correspondançe. Elle me répondit, faisons plus que François I
er , perdons jusqu'à l'honneur
http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110377_1key001cor/nts/001.
Vous avez bien mal lû ma dernière lettre, puisque vous avez compris que J'étois en liaison avec mad. de Pompadour. Je vous mandois que J'avois été fort occupé de sa maladie et de sa mort, et que je m'y intéressoit autant que tant d'autres à qui cela ne faisoit rien http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110377_1key001cor/nts/002; jamais je ne l'avois vû ni rencontré, mais je lui avoit cependant de L'obligation, et par rapport à mes amis j'apréhendois fort sa perte. Il n'i a pas d'apparençe jusqu'à présent, qu'elle produise aucun changement dans leur situation. Voilà Mr Dalbyhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110377_1key001cor/nts/003 archev. de Cambray. Voilà des dames qui suivent le roy à son premier voyage de st Hubert, et ce sont mesdes de Mirepoix, de Gramont et Degvillyhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110377_1key001cor/nts/004. Je me chargerois volontier de vous mander ces sortes de nouvelles si je croyois qu'elles vous fissent plaisir et que vous n'eussiez pas de meilleures correspondançes que moi.
Un autre article de ma lettre que vous avez encore mal entendû, c'est que je vous disois que le plus grand de tout les malheurs étoit d'être né. Je suis persuadée de cette vérité et qu'elle n'est pas particulière à Judas, Job et moi, mais à vous, mais à feu mad. de Pompadour, à tout ce qui a été, à tout ce qui est et à tout ce qui sera. Vivre sans aimer la vie ne fait pas désirer sa fin, et même ne diminue guères la crainte de la perdre. Ceux de qui la vie est heureuse ont un point de vû bien triste, ils ont la certitude qu'elle finira. Tout cela sont des réflexions bien oiseuses, mais il est certain que si nous n'avions pas de plaisir il y a cent ans, nous n'avions ni peine ni chagrins, et des 24 heures de la Journé, celles où l'on dore me paraissent les plus heureuses; vous ne sçavez point et vous ne pouvez sçavoir par vous même quel est l'état de ceux qui pensent, qui réfléchissent, qui ont quelque activité, et qui sont en même tems sans talent, sans passion, sans occupation, sans dissipation, qui ont eû des amis, qui les ont perdus sans pouvoir les remplaçer; Joignez à cela de la délicatesse dans le goût, un peu de dicernement, beaucoup d'amour pour la vérité; crevez les yeux à ces gens là, et placez les au milieu de Paris, de Pekin, enfin où vous voudrez, et je vous soutiendrai qu'il seroit heureux pour eux de n'être pas né. L'exemple que vous me donnez de votre Jeune homme est singulier, mais tout les maux phisiques quelque grands qu'ils soyent (excepté la douleur), attristent et abattent moins l'âme, que les chagrins que nous causent le comerçe et la société des hommes. Votre jeune homme est avec vous, sans doûte qu'il vous aime, vous lui rendez des soins, vous lui marquez de L'intérêt, il n'est point abandonné à lui même, je comprens qu'il peut être heureux. Je vous surprendrois si je vous avouois que de toutes mes peines, mon aveuglement et ma viellesse sont les moindres. Vous conclurez peutêtre de là que je n'ay pas une bonne tête, mais ne me dites point que c'est ma faute si vous ne voulez pas vous contredire vous même; vous m'avez écrit dans une de vos dernières lettres, que nous n'étions pas plus maitre de nos affections, de nos sentimens, de nos actions, de notre maintien, de notre marcher, que de nos rêveshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110377_1key001cor/nts/005; vous avez bien raison et rien n'est si vray; que conclure de tout cela? Rien et mille fois rien, il faut finir sa carrière en végétant le plus qu'il est possible.
Une seule chose me ferait plaisir c'est de vous lire. Si j'étois avec vous j'aurois l'audaçe de vous faire quelques représentations sur quelques unes de vos critiques sur Corneille. Je les trouve presque toutes fort Judicieuses, mais il y en a une dans les Horaces à laquelle je ne sçaurais souscrire. Mais vous vous mocqueriez de moi si j'entreprenois une dissertation.
Ayez bien soin de votre santé monsieur. Vous êtes heureux à ce qu'il me paroit, et vous adoucissez mes malheurs par l'assurance que vous me donnez de votre amitié et par le plaisir que me font vos lettres.