C'est moi, Madame, qui vous demande pardon de n'avoir pas eu l'honneur de vous écrire, et ce n'est pas à vous, s'il vous plait, à me dire que vous n'avez pas eu l'honneur de m'écrire; voilà un plaisant honneur.
Vraiment il s'agit entre nous de choses plus sérieuses, attendu nôtre état, nôtre âge, et nôtre façon de penser. Je ne connais que Judas dont on ai dit qu'il eût mieux valu pour lui de n'être pas néhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110366_1key001cor/nts/001, encor est-ce l'évangile qui le dit. Mecènehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110366_1key001cor/nts/002 et la Fontaine ont dit tout le contraire,
Je conviens avec vous que la vie est très courte, et assez malheureuse; mais il faut que je vous dise que j'ai chez moi un parent de 23 ans, beau, bien fait, vigoureux et voicy ce qui lui est arrivé.
Il tombe un jour de cheval à la chasse, il se meurtrit un peu la cuisse, on lui fait une petite incision et le voilà paralitique pour le reste de ses jours; non pas paralitique d'une partie de son corps, mais paralitique à ne pouvoir se servir d'aucun de ses membres, à ne pouvoir soulever sa tête, avec la certitude entière de ne pouvoir avoir jamais le moindre soulagement; il s'est accoutumé à son état, et il aime la vie comme un fou.
Ce n'est pas que le néant n'ait du bon, mais je crois qu'il est impossible d'aimer véritablement le néant, malgré ses bonnes qualités.
Quant à la mort, raisonnons un peu, je vous prie: il est très certain qu'on ne la sent point, ce n'est point un moment douloureux, elle ressemble au sommeil comme deux goutes d'eau, ce n'est que l'idée qu'on ne se réveillera plus qui fait de la peine, c'est l'appareil de la mort qui est horrible, c'est la barbarie de l'extrême onction, c'est la cruauté qu'on a de nous avertir que tout est fini pour nous. A quoi bon venir nous prononcer nôtre sentence? Elle s'exécutera bien sans que le nôtaire et les prêtres s'en mêlent. Il faut avoir fait ses dispositions de bonne heure, et ensuitte n'y plus penser du tout. On dit quelquefois d'un homme, il est mort comme un chien, mais vraiment un chien est très heureux de mourir sans tout cet abominable attirail dont on persécute le dernier moment de nôtre vie. Si on avait un peu de charité pour nous on nous laisserait mourir sans nous en rien dire.
Ce qu'il y a de pis encor, c'est qu'on est entouré alors d'hipocrites qui vous obsèdent pour vous faire penser comme ils ne pensent point, ou d'imbéciles qui veulent que vous soiez aussi sot qu'eux; tout cela est bien dégoûtant. Le seul plaisir de la vie à Genêve, c'est qu'on y peut mourir comme on veut. Beaucoup d'honnêtes gens n'appellent point de prêtres. On se tue si on veut, sans que personne y trouve à redire, ou l'on attend le moment sans que personne vous importune.
Made De Pompadour a eu toutes les horreurs de l'appareil, et celle de la certitude de se voir condamnée à quitter la plus agréable situation où une femme pût être.
Je ne savais pas, Madame, que vous fussiez en liaisonhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110366_1key001cor/nts/004 avec elle, mais je devine que made De Mirepoixhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110366_1key001cor/nts/005 avait contribué à vous en faire une amie; ainsi vous avez fait une très grande perte, car elle aimait à rendre service. Je crois qu'elle sera regrêtée, excepté de ceuxhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110366_1key001cor/nts/006 à qui elle a été obligée de faire du mal, parce qu'ils voulaient lui en faire. Elle était philosophe, je me flatte que vôtre ami qui a été malade, est philosophe aussi; il a trop d'esprit, trop de raison, pour ne pas mépriser ce qui est très méprisable. S'il m'en croit, il vivra pour lui et pour vous, sans se donner tant de peine pour d'autres; je veux qu'il pousse sa carrière aussi loin que Fontenelle, et que dans son agréable vie il soit toujours occupé des consolations de la vôtre.
Vous vous amusez donc, Madame, des commentaires sur Corneille. Vous vous faittes lire sans doute le texte, sans quoi les notes vous ennuieraient beaucoup. On me reproche d'avoir été trop sévère, mais j'ai voulu être utile, et j'ai été souvent très discret. Le nombre prodigieux de fautes contre la langue, contre la netteté des idées et des expressions, contre les convenances, enfin contre l'intérêt, m'a si fort épouvanté, que je n'ai pas dit la moitié de ce que j'aurais pu dire. Ce travail est fort ingrat et fort désagréable, mais il a servi à marier deux filles, ce qui n'était arrivé à aucun commentateur, et ce qui n'arrivera plus.
Adieu, Madame, suportons la vie qui n'est pas grand'chose, ne craignons pas la mort qui n'est rien du tout, et soyez bien persuadée que mon seul chagrin est de ne pouvoir m'entretenir avec vous, et vous assurer dans vôtre couvent de mon très tendre et très sincère respect, et de mon inviolable attachement.