(1764) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
/ 135
(1764) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous dites des bons mots, Madame, et moi je fais de mauvais contes; mais vôtre imagination doit avoir de l'indulgence pour la mienne, attendu que les grands doivent protéger les petits.
Vous m'avez ordonné expressément de vous envoier quelquefois des rogatons. J'obéïs; mais je vous avertis qu'il faut aimer passionément les vers pour goûter ces bagatelles. Si ce pauvre Formont vivait encor il me favoriserait auprès de vous, il vous ferait souvenir de vôtre ancienne indulgence pour moi, il vous dirait qu'un demi quinze vingt a droit à vos bontés. Il faut bien que j'y compte encor un peu, puisque j'ose vous envoier de telles fadaises. J'ose même me flatter que vous n'en direz du mal qu'à moi; c'est là le comble de la vertu pour une femme d'esprit. Vous me direz que la chose est bien difficile, et que la société serait perdue si l'on ne se moquait pas un peu de ceux qui nous sont le plus attachés. C'est le train du monde, mais ce n'est pas le vôtre, et nous n'avons dans l'état où nous sommes vous et moi, de plus grand besoin que de nous consoler l'un l'autre. Je voudrais vous amuser d'avantage, et plus souvent. Mais songez que vous êtes dans le tourbillon de Paris, et que je suis au milieu de quatre rangs de montagnes couvertes de neige. Les Jesuites, les remontrances, les réquisitoires, l'histoire du jour servent à vous distraire, et moi je suis dans le Sibérie. Cependant, vous avez voulu que ce fût moi qui me chargeas quelquefois de vos amusements; pardonnez moi donc quand je ne réussis pas dans l'emploi que vous m'avez donné; c'est à vous que je prèche la tolérance. Un de vos plus anciens serviteurs, et assurément en des plus attachés en mérite un peu.